Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/247

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large que ma pelle… ce maudit coquin, vous dis-je, dirigeait le bout de son long fusil noir à un quart de verge de mon oreille, quand, par l’effet de la miséricorde divine, mon cheval fit un écart, et je tombai d’un côté, tandis que la balle siffla de l’autre ; à ce moment le vieux lord lui porta un coup si violent de son sabre qu’il lui fendit la tête en deux, et le lourdaud tomba sur moi de tout le poids de son corps. — Vous aviez quelque obligation au vieux lord, il me semble, dit Ravenswood. — Vraiment ? dit Mortsheugh ; oh, sans doute ; d’abord, pour m’avoir exposé, bon gré mal gré, à un si grand péril, et puis pour avoir fait tomber sur moi un grand enragé qui voulut m’écraser complètement. Depuis lors, j’ai toujours eu l’haleine courte, et je ne saurais faire cent pas, sans souffler comme la vieille rosse poussive du meunier. — Vous perdîtes donc votre place comme trompette ? dit Ravenswood. — Si je la perdis ! oui sans doute, je la perdis, répliqua le fossoyeur, puisque je n’aurais pu tirer le moindre son d’un chalumeau. Je m’en serais encore assez bien tiré, car je conservai mes gages et mon logement au château, sans avoir guère autre chose à faire qu’à jouer du violon pour amuser la famille. Mais cet Allan Ravenswood, il était encore pire que son père… — Comment ! s’écria Edgar, est-ce que mon père, je veux dire le fils du vieux lord Ravenswood, vous a privé de ce que la libéralité de son père vous avait accordé ? — Oui, sans doute, il m’en a privé, répondit le vieillard ; car il jeta aux chiens tout ce qu’il possédait, et puis il a lâché sur nous ce sir William Ashton, qui ne donne rien pour rien, et qui m’a renvoyé, ainsi que tous les autres pauvres diables qui, lorsque les choses étaient sur l’ancien pied, avaient de quoi manger au château et un trou pour y fourrer la tête. — Si lord Ravenswood a fait du bien à ses vassaux tant qu’il en a eu les moyens, il me semble que ses vassaux devraient respecter sa mémoire. — Vous pouvez en penser ce que bon vous semblera, monsieur, dit l’ex-trompette, mais vous ne me persuaderez jamais qu’en se conduisant comme il l’a fait, il ait rempli ses devoirs, tant envers lui-même qu’envers nous, pauvres gens qui dépendions de lui ; il aurait pu nous donner la jouissance à vie de nos petites habitations et de nos petits terrains ; et moi, qui suis vieux et plein de rhumatismes, je ne serais pas obligé de demeurer dans cette misérable hutte, qui est plutôt faite pour des morts que pour des vivants, tandis que John Smith occupe ma jolie chambre, dont les