Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/246

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venswood ; vous étiez son serviteur et son vassal. — Son serviteur, dites-vous ? répliqua le fossoyeur ; oui sans doute ; mais c’était pour appeler les convives à un dîner bien chaud, ou, au pis aller, pour accompagner un convoi un peu décent jusqu’au cimetière ; mais non pour pousser les gens au carnage et préparer leur repas aux corbeaux. Attendez ; vous allez voir ce qui en arriva, et si je dois chanter en l’honneur de Ravenswood. Bref, nous partîmes par une belle matinée d’été, le 24 juin 1679 ; je me souviendrai toujours de la date, du mois et de l’année. On entendait le bruit des tambours et le cliquetis des armes ; les chevaux ruaient, se cabraient et trépignaient. Hackstoun de Rathillet gardait le pont, avec des hommes armés de mousquets, de carabines, de piques, d’épées et de faux, que sais-je ? et nous, cavaliers, nous reçûmes l’ordre de remonter la rivière pour la traverser à un gué. Je n’ai jamais aimé l’eau, et elle me plaisait d’autant moins que je voyais des milliers de gens armés sur l’autre rive. Le vieux Ravenswood était là, brandissant sa bonne lame d’André Ferrara à la tête de sa compagnie, et nous criant d’avancer, comme s’il se fût agi d’aller à une foire. De son côté, Caleb Balderstone, qui vit encore, s’agitait à l’arrière-garde, et jurait par Gog et Magog qu’il enfoncerait son épée dans le ventre de quiconque tournerait bride. Enfin le jeune Allan, qui était alors le Maître de Ravenswood, était derrière moi, un pistolet armé à la main, et ce fut un grand bonheur qu’il ne partît point, me criant, à moi qui avais à peine le souffle nécessaire pour faire jouer mes poumons : Sonne, poltron que tu es ; sonne donc, lâche, ou je te brûle la cervelle. Oui, certes, je sonnai, mais une si belle fanfare, que le gloussement d’une poule qui vient de pondre serait de la vraie musique, en comparaison. — Tachez d’abréger ces détails, dit Ravenswood. — Les abréger, répéta le fossoyeur. Peu s’en fallut que ma vie elle-même ne fût abrégée, et cela dans la fleur de ma jeunesse, comme dit l’Écriture. C’est justement ce dont je me plains. Enfin donc, nous entrâmes dans l’eau, pêle-mêle, un cheval poussant l’autre, comme c’est l’ordinaire des bêtes brutes, et les cavaliers ne montrant pas plus de bon sens que leurs montures. De l’autre côté, les buissons paraissaient en flammes, tant ces coquins de whigs faisaient sur nous un feu soutenu. Mort cheval venait justement de mettre le pied sur la rive, quand un maudit coquin des provinces de l’ouest… dans cent ans d’ici je me rappellerais encore sa figure, son œil comme celui d’un faucon, sa barbe aussi