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la famille de Ravenswood et quelques-uns de ses anciens vassaux. Edgar se fit un devoir de satisfaire ce désir si ordinaire aux paysans d’Écosse, et dépêcha Babie au village voisin, pour se procurer le secours de quelques femmes, en l’assurant que, pendant son absence, il resterait auprès du cadavre ; car, de même que chez les anciens Thessaliens, on regardait comme indispensable de ne pas quitter les morts d’un seul instant.

Ainsi, pendant un quart-d’heure, ou environ, il se trouva gardien du corps inanimé de celle dont l’âme, à moins que ses yeux ne l’eussent étrangement trompé, lui avait, si récemment apparu. Malgré son courage naturel, Ravenswood se sentit considérablement affecté par un concours de circonstances aussi extraordinaires. « Elle est morte en exprimant le vif désir de me voir, » se disait-il dans le cours de ses réflexions. » Se pourrait-il donc qu’un désir vivement et fortement conçu pendant la dernière agonie de la nature, survécût à la catastrophe, franchît les limites redoutables du monde spirituel, et en transportât devant nous les habitants avec les formes ou les couleurs de la vie ? Mais pourquoi ce même fantôme qui s’est montré à mes yeux n’a-t-il pu dire un seul mot qui parvînt jusqu’à mon oreille ? Pourquoi une exception serait-elle faite aux lois de la nature, sans aucun but appréciable ? Vaines questions que la mort seule pourra résoudre, lorsqu’elle m’aura rendu aussi pâle et aussi flétri que l’objet qui est devant mes yeux. »

En parlant ainsi, il jeta un drap sur la figure inanimée dont il ne voyait plus les traits qu’avec une sorte de répugnance. Il s’assit alors dans un vieux fauteuil de bois de chêne sculpté, décoré des armoiries de sa famille, qu’Alix avait trouvé moyen de s’approprier, au milieu du pillage qui avait été fait du mobilier par les créanciers, les domestiques et les hommes de loi, la dernière fois que le père d’Edgar avait quitté son château. Alors il s’efforça de bannir de son esprit toutes les idées superstitieuses que le dernier incident avait naturellement fait naître en lui. Celles qui l’occupaient étaient déjà assez tristes, sans y ajouter l’exagération d’une terreur surnaturelle, puisque de la position d’amant aimé de Lucy Ashton, d’ami honoré et respecté de sir William, il se voyait descendre à celle de triste et solitaire gardien d’une vieille femme pauvre et délaissée.

Il fut cependant remplacé dans ces tristes fonctions plus tôt qu’il ne pouvait raisonnablement s’y attendre, d’après la distance