Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/223

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avec lui sur une autre partie de la terrasse. Le lord garde des sceaux s’esquiva aussi, pour ainsi dire, et se rendit à la grande porte, sans inviter Ravenswood à l’accompagner, de sorte que celui-ci resta sur la terrasse, seul, abandonné, et presque comme un homme dont on chercherait à éviter la présence.

Cette conduite ne convenait nullement au caractère d’un homme plus fier encore qu’il n’était pauvre, et qui croyait qu’en sacrifiant des ressentiments profondément enracinés, au point de devenir l’hôte de sir William Ashton, il accordait une grâce et n’en recevait aucune.

« Je puis pardonner à Lucy, » se disait-il à lui-même ; « elle est jeune, timide, et ne peut se dissimuler qu’elle a contracté un engagement important sans l’aveu de sa mère ; mais encore ne doit-elle pas oublier quel est celui avec qui elle l’a contracté, et ne pas me donner raison de soupçonner qu’elle rougit de son choix. Quant au lord garde des sceaux, toutes ses facultés semblent l’avoir abandonné dès le premier instant qu’il a entrevu la voiture de lady Ashton. Il faut voir comment tout ceci finira ; et si l’on me donne quelque raison de penser que ma présence soit désagréable, j’aurai bientôt abrégé ma visite. »

L’esprit préoccupé de ces réflexions, il quitta la terrasse, et, descendant aux écuries du château, donna ordre de seller son cheval afin de le trouver tout prêt dans le cas où il serait obligé de partir.

Cependant les cochers des deux voitures dont l’approche avait occasionné tant de consternation dans le château, reconnurent qu’ils se dirigeaient par des routes différentes vers l’extrémité de l’avenue, comme vers un centre commun. Lady Ashton donna aussitôt à ses postillons l’ordre de faire tous leurs efforts pour gagner de vitesse sur l’autre voiture ; car elle désirait avoir un entretien avec son mari avant l’arrivée des hôtes qui lui survenaient, quels qu’ils fussent. De son côté, le cocher du marquis, jaloux de soutenir sa dignité et celle de son maître, et remarquant que son rival doublait le pas, se montra résolu, en vrai membre de la confrérie du fouet, tant ancienne que moderne, à maintenir son droit de préséance ; en sorte que, pour augmenter la confusion qui régnait dans la tête du lord garde des sceaux, il vit le peu de temps qui lui restait pour prendre une détermination, abrégé par l’empressement et l’ardeur des cochers rivaux, qui se regardant fièrement, et appliquant de vigoureux coups de fouet à leurs