Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/222

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le malheureux en voyant l’apparition réelle et celle qui n’était qu’imaginaire, « il y en a deux. »

La surprise de sir William, à la vue de cette seconde voiture, qui n’était pas attendue comme la première, ne fut guère plus désagréable, et fit naître dans son esprit un étrange pressentiment. Il n’avait aucun voisin qui pût se présenter ainsi sans cérémonie, dans un temps où l’on tenait si fort à l’éliquette. Ce doit être lady Ashton, lui disait sa conscience, qui le faisait péniblement anticiper sur le motif de ce retour subit qui n’avait pas été annoncé. Il sentit qu’il était pris en flagrant délit. Il n’y avait pas le moindre doute qu’elle ne lui témoignât hautement le mécontentement qu’elle éprouverait en voyant la compagnie dans laquelle il allait être si inopinément surpris ; un seul espoir lui restait : lady Ashton possédant les notions les plus élevées du décorum de la dignité, s’abstiendrait de faire un éclat. Néanmoins ses doutes et ses craintes l’agitèrent au point qu’il oublia presque totalement le cérémonial projeté pour la réception du marquis.

Ces sentiments d’appréhension agirent avec non moins de force sur la fille de sir William Ashton. « C’est ma mère… c’est ma mère ! » dit-elle en regardant Ravenswood, les mains jointes et le visage couvert d’une pâleur mortelle.

« Et quand ce serait lady Ashton, » lui dit à voix basse celui-ci, « quelle raison y a-t-il d’en concevoir tant d’alarme ? Sûrement le retour d’une mère dans sa famille, d’où elle a été si long-temps absente, doit exciter des sentiments autres que ceux de la crainte et de la consternation. — Ah ! vous ne connaissez pas mère, » répondit miss Ashton à qui la terreur ôtait presque la force de parler : « que dira-t-elle quand elle vous verra ici ? — Mon séjour y a été trop long, » dit Ravenswood avec un peu de hauteur, « si ma présence doit lui inspirer tout le mécontentement que m’annonce votre frayeur. Ma chère Lucy, » ajouta-t-il d’un ton radouci et dans le dessein de lui donner un peu de courage, « c’est être trop enfant que d’avoir ainsi peur de lady Ashton ; c’est une dame de haute naissance, une femme de distinction, une personne qui doit connaître le monde, et savoir ce qu’elle doit à son mari et aux hôtes de son mari. »

Lucy secoua la tête ; et comme si sa mère, quoique encore éloignée d’un demi-mille, eût pu la voir et scruter son cœur, elle s’éloigna de Ravenswood, prit le bras de Henri et se promena