Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/221

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voyait un nuage de poussière entourer les cavaliers qui précédaient, ou accompagnaient, ou suivaient la voiture du marquis.

Le privilège de la noblesse, à cette époque, avait quelque chose qui frappait l’imagination. Le costume, les livrées, le nombre des laquais, la manière pompeuse de voyager, l’air imposant et presque belliqueux des hommes armés qui entouraient la voiture, mettaient le grand seigneur bien au-dessus du laird, suivi de deux domestiques seulement ; et quant à la portion mercantile de la nation, elle ne songeait pas plus à entrer en rivalité avec le luxe de la noblesse qu’à imiter l’équipage d’apparat du souverain. Aujourd’hui c’est tout différent, et moi-même, moi, Pierre Pattieson, dans un voyage que j’ai fait dernièrement à Édimbourg, j’ai eu l’honneur de changer une jambe[1] (en style de diligence) avec un pair du royaume. Il n’en était pas ainsi dans les temps dont je parle, et le marquis, si long-temps et si vainement attendu, arrivait entouré de toute la pompe de l’ancienne aristocratie. Sir William Ashton était tellement absorbé dans sa contemplation et dans ses réflexions sur le cérémonial, cherchant à se rappeler s’il n’avait pas oublié quelque détail, qu’il entendit à peine son fils Henri s’écrier : « Papa, voilà une autre voiture à six chevaux qui vient par la route de l’est ; appartiennent-elles toutes les deux au marquis d’Athol ? »

Enfin, lorsque Henri eut forcé son père à lui accorder quelque attention, en le tirant par la manche, celui-ci « tourne les yeux, et aperçoit soudain une épouvantable vision. »

Une autre voiture, attelée de six chevaux et entourée de quatre laquais à cheval, arrivait par la route de l’est, avec une rapidité qui faisait douter lequel des deux équipages, s’approchant ainsi de deux points opposés, parviendrait le premier à la porte située à l’extrémité de l’avenue. L’un était peint en vert, l’autre en bleu ; et jamais les chars verts et les chars bleus[2] n’excitèrent plus de tumulte dans les cirques de Rome et de Constantinople que cette double apparition n’en occasionna dans l’esprit du lord garde des sceaux. Tout le monde se rappelle la terrible exclamation d’un libertin sur son lit de mort, lorsqu’un de ses amis, dans l’espoir de le guérir de ce qu’il regardait comme une affection hypocondriaque, plaça devant lui une personne ayant le même costume que le spectre affreux qu’il avait décrit : « Mon Dieu ! » s’écria

  1. Le lecteur sait que les voyageurs croisent leurs jambes en diligence. a. m.
  2. Allusion aux deux factions qui divisaient les cirques des deux villes. a. m.