Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/220

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De là on jouissait d’une vue très-étendue et très belle ; mais ce qui, dans la circonstance actuelle, était le plus important, c’est qu’on découvrait deux routes, l’une venant de l’est, l’autre de l’ouest : après avoir passé sur une montagne située en face de l’éminence sur laquelle s’élevait le château, ces routes se rapprochaient graduellement pour se réunir près de l’avenue. C’était vers celle de l’ouest que les trois personnages tournaient leurs regards afin de voir arriver la voiture du marquis ; sir William avec un sentiment d’anxiété, Lucy pour faire plaisir à son père, et Ravenswood avec une condescendance qu’il ne cherchait pas à déguiser.

Leur attente ne fut pas de longue durée. Deux coureurs à pied, vêtus de blanc, portant la casquette noire des jokeis, et de longues cannes à la main, formaient la tête du cortège : telle était leur agilité qu’ils conservaient sans peine la distance qu’exigeait l’étiquette en avant de la voiture et des hommes à cheval qui l’entouraient. Ils arrivaient en trottant, et malgré lu rapidité de leur marche, ils ne paraissaient nullement essoufflés. On trouve souvent dans les anciennes pièces de théâtre des allusions à ces coureurs. Je citerai plus particulièrement la comédie de Middleton, intitulée Mad world, my masters[1]. Peut-être même y a-t-il encore en Écosse des vieillards qui se souviennent d’en avoir vu faisant partie de la suite des anciens nobles lorsqu’ils voyageaient en grande cérémonie[2]. Derrière ces brillants météores, qui couraient comme si l’ange exterminateur eût été à leur poursuite, on

  1. Le monde est fou, mes maîtres. a. m.
  2. Sur quoi, moi, Jedediah Cleishbotham, je demande la permission de remarquer, primo (ce qui signifie en premier lieu), qu’ayant vainement demandé au cabinet de lecture de Gandercleugh, bien qu’il abonde en pareilles futilités, ce Middleton et son Mad world, on me le montra enfin parmi d’autres vieilles fadaises soigneusement compilées par un certain Dodsley, qui, sans doute fut bien récompensé pour la perte d’un temps précieux ; et après avoir mal employé autant du mien qu’il en fallait pour l’objet qui m’occupait, je trouvai que, dans cette pièce, un acteur est introduit comme laquais et qu’un chevalier le salue facétieusement avec l’épithète de Bas de fil, soixante milles par jour.
    Secundo (c’est-à-dire, en langue vulgaire, secondement), sous le bon plaisir de M. Pattieson, je remarquerai que quelques personnes qui ne sont pas tout à fait aussi vieilles qu’il voudrait le faire croire, se rappellent cette espèce de domestiques ou coureurs. Pour preuve de quoi, moi, Jedediah Cleishbotham, quoique mes yeux me servent encore très-bien, je me souviens d’avoir vu un des gens de cette classe, vêtu de blanc et portant une canne, qui courait journellement devant la voiture de cérémonie de feu John, comte de Hopeton, père du comte actuel, Charles, auprès de qui l’on peut dire avec raison que la Renommée joue le rôle de courrier ou d’avant-coureur ; et, comme le dit le poète, « Mars, toujours à ses côtés, l’anime de son courage, et la Renommée le suit, un laurier à la main ».