Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/211

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bonne. Assurément je n’ai jamais vu Ravenswood faire des armes, mais n’ai-je pas été à l’école de M. Sagout, le premier maître d’armes de Paris ? à celle de signor Poco, à Florence, et de mein herr Durchstossen[1], à Vienne ? Je connais toutes leurs feintes : ils m’ont montré leurs coups cachés. — Je ne sais rien de tout cela ; mais, quand ce serait vrai, qu’en résulterait-il ? — Que je veux être damné si jamais j’ai vu Français, Italien ou Allemand, avoir le pied, le poignet et l’œil aussi sûrs et aussi fermes, et se tenir en garde aussi bien que vous, Bucklaw. — Je crois que vous mentez, Craigie, dit Bucklaw ; dans tous les cas, je sais tirer la pointe, manier l’espadon, le poignard, le coutelas ou le cimeterre, et c’est tout autant qu’il en faut à un gentilhomme. — Et le double de ce que savent quatre-vingt-dix-neuf autres sur cent. Parce qu’ils sont en état d’échanger quelques bottes, ils croient posséder à fond le noble art de l’escrime. Cela me rappelle que lorsque j’étais à Rouen, en 1695, il s’y trouvait un certain chevalier de Chapon ; nous allâmes ensemble à l’Opéra, où nous rencontrâmes trois petits fanfarons anglais… — Est-ce une longue histoire que vous allez nous raconter ? » dit Bucklaw en l’interrompant sans cérémonie.

« Tout comme il vous plaira, reprit le parasite. — Alors qu’elle soit courte. Est-elle triste ou gaie ? — Oh ! diablement triste, je vous assure, et ils s’en aperçurent ; car le chevalier et moi… — Alors je n’en veux pas du tout, répondit Bucklaw ; ainsi remplissez un verre du clairet de ma bonne vieille tante, Dieu veuille avoir son âme ! et comme dit le Highlander : Skioch doch na skiaill[2]. — C’est ce que disait toujours le vieux sir Evan Dhu, quand j’étais en campagne avec les braves garçons, en 1689 : Craigengelt, me disait-il, vous êtes le plus joli garçon[3] qui ait jamais manié une épée ; mais vous avez un défaut. — S’il vous avait connu depuis aussi long-temps que moi, il vous en aurait trouvé plus de vingt. Mais au diable les longues histoires ! portez votre toast, mon brave. »

Craigengelt se leva, alla sur la pointe du pied jusqu’à la porte, regarda dehors, la ferma soigneusement, puis revint à sa place ; mettant alors son chapeau à galon terni sur le coin de l’oreille, il

  1. Mot qui veut dire pousser à travers ou percer. a. m.
  2. « Accompagnez chaque verre d’une histoire. » Ce qui répond au proverbe anglais : « Bon compagnon, ne prêchez pas en buvant. » a. m.
  3. C’est-à-dire, brave soldat. Nous avons déjà expliqué ce mot dans les notes de Rob Roy. a. m.