Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/207

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propriété… — Que mes ancêtres ont vendue, parce qu’ils ont manqué de cette attention, en bien ! soit : un homme ne peut porter un fardeau qui dépasse ses forces, fût-ce même de l’or.

Lucy soupira ; elle ne voyait que trop que son amant méprisait les manières et les habitudes d’un père qu’elle avait toujours considéré comme son meilleur et son plus tendre ami, et dont les caresses l’avaient souvent dédommagée de la dureté impérieuse de sa mère.

Les amants s’aperçurent aussi qu’ils différaient d’opinion sur d’autres points non moins importants. Dans ces jours de discorde, la religion, cette mère de la paix, était si méconnue, que ses dogmes et ses formes étaient le sujet de violentes disputes et de l’animosité la plus hostile. Le lord garde des sceaux, attaché au parti whig, était par conséquent presbytérien, et avait trouvé convenable, à diverses époques, de montrer pour son église plus de zèle qu’il n’en avait réellement. Sa famille était élevée dans les mêmes principes politiques et religieux. Ravenswood appartenait aux épiscopaux, et reprochait souvent à Lucy le fanatisme de ceux de sa communion ; de son côté, elle insinuait plutôt qu’elle n’exprimait son horreur pour des principes qu’on lui avait appris à regarder comme contraires à la discipline ecclésiastique et à la pureté de la religion.

Ainsi, quoique leur amour semblât s’accroître plutôt que diminuer, à mesure qu’ils se connaissaient mieux, quelque chose de pénible se mêlait à leurs sensations. Lucy éprouvait une gêne secrète auprès de Ravenswood, dont l’âme était d’une trempe plus fière, plus hautaine que celle des gens parmi lesquels elle avait été élevée ; ses idées étaient aussi plus nobles, plus élevées, et il ne cachait pas son mépris pour la plupart des opinions qu’elle avait appris à vénérer. Sa tendresse pour lui était donc mêlée de crainte. Ravenswood, de son côté, voyait en Lucy un caractère doux et flexible, trop susceptible de céder aux impressions de ceux parmi lesquels elle passait sa vie. Il sentait qu’il avait besoin d’une compagne dont l’esprit fût plus indépendant, et qui, en voguant avec lui sur l’océan de la vie, fût plus capable de s’abandonner avec la même indifférence au souffle de la tempête ou à celui de la brise légère. Mais Lucy était si belle, elle avait pour lui un attachement si dévoué, elle était si tendre et si bonne, que tout en désirant qu’on pût lui inspirer plus de fermeté et de résolution, et en s’impatientant de la crainte extrême qu’elle expri-