Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/201

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qu’elle approuverait mon choix ; mais elle ne vous connaît pas personnellement, et l’ancienne inimitié qui existe entre nos familles… »

Ravenswood fixa sur elle ses yeux noirs et perçants, comme s’il eût voulu pénétrer jusqu’au fond de son âme.

« Lucy, dit-il, j’ai sacrifié pour vous des projets de vengeance long-temps nourris, et jurés avec des cérémonies semblables à celles des païens ; je les ai sacrifiés à vos attraits, avant de connaître le trésor qu’ils recouvrent. La nuit qui suivit les funérailles de mon père, je coupai une boucle de mes cheveux, je la jetai dans un brasier, et en regardant le feu la consumer, je jurai que ma rage et ma vengeance poursuivraient ses ennemis jusqu’à ce qu’ils fussent anéantis devant moi d’une manière aussi sûre et aussi prompte. — C’était un grand crime, » dit Lucy en pâlissant, « de faire un serment si affreux. — Je l’avoue, et c’en eût été un plus grand de le mettre à exécution. C’est pour l’amour de vous que j’ai abjuré ces projets, quoique je connusse à peine la cause qui me dominait. Mais lorsque je vous eus vue une seconde fois, je sentis l’influence que vous aviez prise sur moi. — Et pourquoi rappeler des sentiments si terribles, si incompatibles avec ceux que vous dites avoir pour moi, avec ceux dont ma bouche vient de vous faire l’aveu ? — Parce que je désire que vous sachiez à quel prix j’ai acheté votre amour, le droit que j’ai à votre constance. Je ne dis pas que j’y sacrifie l’honneur de ma maison ; mais, quoique je ne le dise pas ni que je ne le pense pas, le monde peut le penser et le dire. — Si tels sont vos sentiments, vous jouez un rôle bien cruel auprès de moi ; mais il n’est point trop tard pour y renoncer. Reprenez la foi et le serment que vous m’aviez donnés, et que vous ne pouviez engager sans compromettre l’honneur de votre maison ; que tout ce qui est arrivé s’efface ; oubliez-moi, je tâcherai d’oublier moi-même… — Vous me faites injure, dit le Maître de Ravenswood ; par tout ce qui mérite le respect des hommes, vous ne me rendez pas justice. Si j’ai parlé du sacrifice par lequel j’ai acheté votre amour, ce n’était que pour vous prouver le prix que j’y attache, pour donner plus de force à notre lien, et pour vous convaincre, par tout ce que j’ai fait pour l’obtenir, combien je souffrirais si vous manquiez à votre foi. — Et pourquoi, Ravenswood, croiriez-vous que cela fût possible ? Pourquoi douteriez-vous de ma constance ? Est-ce parce que je vous prie d’attendre quelque temps avant de