Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au-dessus de la porte d’une obscure auberge, dans la ruelle de derrière de Gandercleugh… Mais je sens qu’il faut que je m’arrache à ce sujet, si je veux éviter de m’y arrêter trop long-temps.

Au milieu de ses besoins, contre lesquels il s’efforçait de lutter, Dick Tinto eut recours au moyen employé par ses confrères de lever sur la vanité des hommes l’impôt qu’il ne pouvait obtenir de leur goût et de leur libéralité ; en un mot, il se mit à peindre des portraits. Ce fut à cette époque plus avancée de perfection dans les arts, lorsque Dick, s’étant élevé au-dessus de son premier genre d’occupations, dédaignait souverainement la moindre allusion qui pourrait y être faite, qu’après une séparation de plusieurs années, nous nous retrouvâmes ensemble au village de Gandercleugh. J’exerçais mon état actuel, et Dick faisait à une guinée par tête des copies de la face humaine que Dieu créa à son image. Cette rétribution, quoique faible, suffisait, dans les commencements de sa nouvelle profession, aux désirs modérés de Dick ; il occupait alors un appartement à l’auberge de Wallace, disait impunément son bon mot, même aux dépens de son hôte, et vivait respecté de la fille, du palefrenier et du garçon de l’auberge.

Ces jours de bonheur[1] et de tranquillité n’eurent qu’une courte durée. Lorsque Son Honneur le laird de Gandercleugh, avec son épouse et ses trois filles, le curé, le jaugeur juré, mon très honoré patron M. Jedediah Cleishbotham[2], et à peu près une douzaine de fermiers eurent été inscrits sur les tablettes de l’immortalité par le pinceau de Tinto, le nombre des pratiques commença à diminuer, et il fut impossible d’arracher plus que des couronnes et des demi-couronnes[3] des mains tenaces des paysans que l’ambition amenait à l’atelier de Dick.

Cependant, quoique l’horizon se rembrunît, il n’y eut pendant quelque temps aucun orage. Mon hôte était un chrétien charitable envers un locataire qui avait bien payé aussi longtemps qu’il en avait eu les moyens ; et un tableau, représentant notre hôte lui-même, groupé avec sa femme et ses filles, dans le

  1. Jours alcyoniens, halcyon days, dit le texte ; expression correspondante à jours tranquilles, par allusion au calme habituel de la mer sept jours avant et sept jours après le solstice d’hiver, époque où l’on assure qe l’alcyon fait son nid. a. m.
  2. Nom sous lequel Walter Scott a publié ses Contes de mon hôte, en trois séries, renfermant : la première, the black Dwarf (le Nain noir) et Old Mortalily (la vieille Mortalité, appelée aussi les Puritains d’Écosse) ; la seconde the Heart of Mid-Lothiun (le Cœur de Mid-Lothian, ou la Prison d’Édimbourg) ; et la troisième, the Bride of Lammermoor (la Fiancée de Lammermoor) et a Légende of Montrose (une Légende de Montrose, ou l’Officier de fortune). a. m.
  3. Monnaies d’argent. La couronne vaut environ six francs. a. m.