Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/193

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son jeune seigneur aurait eu l’air de dégénérer de la bravoure de ses ancêtres.

« Le Maître de Ravenswood, » dit Lucy, qui n’aimait pas ce ton de remontrance et qui désirait y mettre fin, est venu rendre visite à mon père. — En vérité ? » dit la vieille aveugle avec l’accent de la surprise.

« Je savais, continua Lucy, que je vous ferais plaisir en l’amenant à votre chaumière. — Où, à dire vrai, Alix, reprit Ravenswood, j’espérais trouver une réception plus cordiale. — C’est bien surprenant, » dit Alix en se parlant à demi-voix ; mais les volontés du ciel ne ressemblent pas aux nôtres, et ses jugements s’accomplissent par des moyens qui confondent notre raison. Écoutez, jeune homme ; vos ancêtres se montrèrent toujours ennemis implacables, mais pleins d’honneur ; ils ne cherchaient pas à perdre leurs ennemis sous le masque de l’hospitalité. Qu’avez-vous à démêler avec Lucy Ashton ? pourquoi vos pas suivent-ils la même voie que les siens ? pourquoi votre voix résonne-t-elle de concert avec celle de la fille de sir William Ashton ? Jeune homme, celui qui cherche la vengeance par des moyens honteux… — Silence, femme ! » dit sévèrement Ravenswood : « est-ce le diable qui vous inspire ? Sachez que cette jeune fille n’a pas sur terre un ami qui se dévouât plus volontiers que moi pour la garantir d’une injure ou d’une insulte. — Et en est-il ainsi ? » dit la vieille femme d’un ton mélancolique ; « alors veuille Dieu vous protéger tous deux ! — Amen, Alix, » dit Lucy qui n’avait pas compris le sens de ce que disait la vieille aveugle ; « et puisse-t-il vous envoyer votre raison et votre bonne humeur. Si vous tenez ce langage mystérieux à vos amis, au lieu de les bien recevoir, ils penseront de vous ce qu’en pense tout le monde. — Et qu’est-ce que tout le monde pense d’elle ? » dit Ravenswood qui commençait aussi à croire que la vieille femme parlait avec incohérence.

« On pense, » dit Henri Ashton qui arriva en ce moment et qui s’adressa tout bas à Ravenswood, « que c’est une sorcière qui aurait dû être brûlée avec celles qui l’ont été à Haddington. — Que dites-vous là ? » reprit Alix en se retournant vers le jeune homme, tandis que son visage étincelait de colère ; « que je suis une sorcière, et que j’aurais dû souffrir avec les malheureuses vieilles infirmes qu’on égorgea à Haddington ? — Voyez si elle ne m’a pas entendu ! » dit encore tout bas Henri, « cependant j’ai fait moins de bruit qu’un roitelet qui saute. — Si l’usurier et l’op-