Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/191

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en se corrigeant, que les divers degrés de fortune exigent une tenue différente pour la maison. »

Cette remarque faite d’un ton sec coupa court à toute observation sur ce sujet, et il est inutile de citer celui qu’on mit ensuite sur le tapis. La soirée se passa dans l’aisance et même dans la cordialité, et Henri était si bien revenu de sa première frayeur, qu’il avait arrangé une partie pour courre le cerf avec le représentant et le portrait vivant du farouche sir Malise de Ravenswood, autrement appelé le vengeur. On choisit le lendemain matin. Il se trouva des chasseurs actifs, et la chasse fut heureuse : bien entendu qu’il s’en suivit un festin accompagné d’une invitation pressante de passer encore un jour. Ravenswood avait décidé que celui-ci serait le dernier ; mais il se rappela qu’il n’avait pas fait sa visite à l’ancienne et dévouée servante de sa maison, la vieille Alix, et il lui semblait tout naturel de consacrer une matinée à une aussi ancienne connaissance.

On convint donc d’aller voir Alix ; Lucy devait servir de guide au Maître. Il est vrai que Henri les accompagnait, de sorte que leur promenade n’avait plus l’air d’un tête-à-tête, quoique réellement ce ne fût pas autre chose, grâce aux nombreuses circonstances qui empêchèrent le jeune garçon de faire la moindre attention à ce qui se passait entre ses compagnons : tantôt c’était une corneille perchée sur une branche d’arbre à portée de son fusil ; tantôt un lièvre traversait le chemin, et Henri le poursuivait avec son chien ; ensuite il avait une longue conversation avec le forestier, ce qui le retenait long-temps derrière ses compagnons ; puis il allait examiner le terrier d’un blaireau et se trouvait bien loin devant eux.

La conversation entre Edgard et Lucy prit une tournure intéressante et presque confidentielle ; celle-ci ne put s’empêcher de donner à entendre au Maître de Ravenswood combien elle ressentait la douleur qu’il devait éprouver en visitant des lieux qui lui étaient si bien connus et qu’il trouvait si changés ; elle exprima cette sympathie avec tant de douceur que le jeune homme y trouva l’entier dédommagement de tous ses chagrins. Il avoua presque ce sentiment, et Lucy entendit cet aveu avec plus de confusion que de déplaisir. On lui pardonnera sans doute sa conduite imprudente en écoutant ce langage, si l’on considère que la situation dans laquelle son père la plaçait semblait autoriser Ravenswood à le tenir. Néanmoins elle fit un effort pour changer de conversation ; elle y réussit ; car Edgard s’apercevait qu’il s’était