Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/185

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queur qui convenait à son rang, la cavalcade se remit en marche.

Il faisait nuit quand ils entrèrent dans l’avenue qui menait en droite ligne au château de Ravenswood. C’était une longue allée bordée d’ormes d’une grosseur prodigieuse ; leur feuillage, agité par le souffle du vent du soir, semblait gémir sur l’héritier de leur ancien propriétaire, qui venait chercher leur ombrage en compagnie et presque à la suite de leur nouveau maître. Ce genre de sentiments paraissait affecter l’âme du jeune Ravenswood lui-même : silencieux et pensif, il marchait derrière Lucy qu’il n’avait pas quittée jusqu’alors. Il se rappelait le jour où, à la même heure, il accompagna son père, lorsque ce noble seigneur partit pour ne jamais revenir au château dont il portait le nom et le titre : la vaste façade du vieux bâtiment, sur laquelle il se souvenait d’avoir tant de fois reporté sa vue, était alors sombre et comme couverte d’un crêpe funèbre, et maintenant elle est éclairée par nombre de lumières. Les unes projetaient au loin une lueur fixe, d’autres passaient rapidement d’une fenêtre à l’autre, indiquant les préparatifs bruyants et actifs qu’on faisait pour le retour du maître du logis, qui avait été annoncé par un courrier. Ce contraste fit une telle impression sur le cœur de Ravenswood, qu’il réveilla ses ressentiments contre le nouveau propriétaire de son patrimoine. Son visage s’empreignit d’une gravité sévère, lorsqu’en descendant de cheval il se trouva sous le vestibule de ce château qui ne lui appartenait plus, entouré des nombreux serviteurs de celui en la possession duquel il était tombé.

Le lord garde des sceaux se préparait à le saluer avec cette cordialité que leur dernière conversation semblait autoriser ; mais il s’aperçut du changement qui s’était opéré sur la figure de son hôte, et se contenta de remplir la cérémonie de réception par un profond salut, comme pour lui témoigner qu’il partageait ses sensations.

Deux domestiques, portant chacun une énorme paire de chandeliers d’argent conduisirent la compagnie dans un vaste salon où de nombreux changements étalèrent aux yeux de Ravenswood la supériorité de fortune de ses habitants actuels. La tapisserie vermoulue qui, du temps de son père, couvrait à moitié les murailles de ce magnifique appartement, tandis que l’autre moitié pendait en lambeaux, avait fait place à une boiserie dont la corniche ainsi que les entablements des panneaux étaient ornés de festons de fleurs et d’oiseaux, que le ciseau avait si bien sculptés