Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/17

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ville devenue le centre de la littérature, du plaisir et des richesses. N’y eût-il pas cent exemples semblables à citer, le sort de mon pauvre ami et camarade d’école, Tinto, suffirait pour me mettre en garde contre le désir de chercher le bonheur dans la célébrité attachée à celui qui cultive les beaux-arts avec succès.

Dick[1] Tinto, lorsqu’il se déclarait artiste, avait coutume de dire qu’il tirait son origine de l’ancienne famille de Tinto, de la ville du même nom, dans le comté de Lanark, et lorsque l’occasion s’en présentait, donnait à entendre qu’il avait en quelque sorte dérogé de ses nobles ancêtres en faisant du pinceau son seul moyen d’existence. Mais si la généalogie de Dick était exacte, quelqu’un de ses ayeux devait avoir cruellement dégénéré, puisque son brave homme de père exerçait le métier nécessaire, et j’espère, honnête, quoique assurément peu distingué, de tailleur ordinaire du village de Langdirdum, dans la partie occidentale de l’Écosse. Ce fut sous son humble toit que naquit Richard, et ce fut dans l’humble métier de son père que Richard, bien contre son inclination, se vit de bonne heure mis légalement en apprentissage. Le vieux Tinto n’eut cependant pas lieu de se féliciter d’avoir forcé le génie naissant de son fils à se détourner de sa pente naturelle. Il eut le sort du jeune écolier qui essaie de boucher avec son doigt le tuyau par lequel s’écoule l’eau d’une citerne, tandis que le courant, irrité de cet obstacle, s’échappe par mille jets imprévus, et que tout ce que notre étourdi a gagné, c’est d’avoir été mouillé de la tête jusqu’aux pieds. C’est justement ce qui arriva au vieux Tinto. En effet son apprenti, sur lequel il fondait de si belles espérances, épuisa toute la craie non seulement en faisant des esquisses sur l’établi, mais encore en dessinant diverses caricatures des meilleures pratiques de son père, qui commencèrent à se plaindre hautement et à dire qu’il était trop dur de se voir défiguré par les vêtements du père, et en même temps tourné en ridicule par le crayon du fils. Voyant enfin son crédit et ses pratiques perdus, le vieux tailleur céda au destin et aux instances de son fils, et lui permît de tenter la fortune dans un état pour lequel il avait plus de dispositions.

Il y avait à cette époque dans le village de Langdirdum un artiste ambulant en peinture, qui, exerçant sa profession sub Jove frigido[2], était un objet d’admiration pour tous les garçons

  1. Dick est le diminutif de Richard. a. m.
  2. En plein air. a. m.