Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/159

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cherche à en profiter. — J’en suis fâché, milord, reprit le Maître. — Non, non, répliqua son hôte ; vous parlez comme un jeune homme ; votre courage marche avant votre jugement ; il y a encore bien des choses à décider entre nous. Pouvez-vous me blâmer, moi vieillard paisible, et dans le château d’un jeune seigneur qui a sauvé la vie à ma fille et à moi, si je désire ardemment que nous réglions ces points d’après le principe le plus libéral ? »

Le vieillard serrait fortement la main du Maître, en disant ces mots. Celui-ci ne put répondre, malgré son intention formelle ; et souhaitant une bonne nuit à son hôte, il remit toute explication au lendemain matin.

Ravenswood se précipita dans la salle où il devait passer la nuit, et pendant quelque temps il se promena d’un pas rapide et inégal. Son ennemi mortel était chez lui, et ses sentiments à son égard n’étaient ni ceux d’un ennemi ni ceux d’un vrai chrétien. Il sentait qu’il ne pouvait ni lui pardonner dans l’un de ces deux cas, ni suivre sa vengeance dans l’autre, mais qu’il adoptait une composition basse et honteuse entre son ressentiment contre le père et son amour pour la fille. Il se maudissait, tout en se promenant à la lueur pâle des rayons de la lune et à la clarté plus rougeâtre du feu mourant de la cheminée. Il ouvrait les fenêtres grillées et les refermait avec violence, comme s’il eût eu besoin tantôt de se rafraîchir au contact d’un air pur, tantôt de se soustraire à toute influence extérieure. Enfin la rage de la colère s’évanouit, et il se jeta dans le fauteuil où il se proposait de passer la nuit.

« Si réellement, » se dit-il dans les moments de calme qui suivirent ; « si réellement cet homme ne désire pas autre chose que ce que la loi lui accorde ; s’il consent réellement à mettre sur le pied de l’égalité ses droits reconnus, de quoi mon père pourrait-il avoir à se plaindre ? moi-même, qu’aurais-je à dire ? Ceux de qui nous avons acquis nos anciennes possessions tombèrent sous le fer de mes ancêtres et abandonnèrent les terres aux vainqueurs, nous, maintenant, nous sommes courbés sous le poids de la loi, trop puissante pour la chevalerie écossaise. Hé bien ! capitulons, comme si nous avions été assiégés dans notre forteresse et sans espoir de secours. Cet homme me paraît tout autre que je ne l’avais cru. Et sa fille… ! mais j’ai résolu de ne pas penser à elle. » Il s’enveloppa dans son manteau, s’endormit, et rêva de Lucy Ashton jusqu’au moment où le jour perça à travers les grilles de ses fenêtres.