Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/142

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binck, ou le rayon qui soutenait la vaisselle. Sa mère, la vieille Luckie Loup-the-Dyke[1], la plus madrée qu’il y eût à vingt milles à la ronde, au dire de toutes les commères, était assise auprès du feu, toute brillante de sa robe de grogram[2], de son collier d’ambre et de son bonnet de mousseline propre, fumant sa pipe tout à son aise, et veillant au soin de la cuisine. Mais un spectacle bien plus intéressant que celui d’une jeune femme enjouée ou d’une vieille bavarde s’offrit aux regards du sommelier inquiet et affamé : on voyait bouillonner au-dessus de cet excellent feu un énorme pot, ou plutôt une chaudière remplie de viande de boucherie et de volaille, tandis que, sur le devant, deux broches, tournées par les apprentis du tonnelier, faisaient leurs révolutions ; l’une était chargée d’un quartier de mouton, et l’autre d’une oie grasse et d’une couple de canards sauvages. La vue de cette bonne chère, et l’odeur exquise qui s’en exhalait achevèrent presque de désespérer le pauvre Caleb. Il se tourna un instant pour examiner ce qui se passait dans le ben, au salon à l’autre bout de la maison, et y vit un tableau encore plus mortifiant. Une grande table ronde, préparée pour dix à douze personnes, décorée, suivant son expression favorite, d’une nappe blanche comme la neige ; de grands pots d’étain, parmi lesquels on voyait une ou deux coupes d’argent, et qui probablement étaient remplies de quelque chose digne de leur extérieur brillant ; d’assiettes propres, de cuillers, de fourchettes, de couteaux bien polis, bien aiguisés, prêts à être employés ; tout indiquait les apprêts d’une fête particulière.

« Ce rustaud de fabricant de baquets a le diable au corps, » pensa Caleb, dévoré d’envie et de curiosité ; « c’est une honte que de voir de pareilles gens se régaler de cette manière. Mais si quelque portion de cette bonne chère ne prend pas ce soir le chemin de Wolf’s-Crag, mon nom n’est pas Caleb Balderstone. »

Plein de cette résolution, il entra hardiment, et alla embrasser[3] la mère et la fille avec beaucoup de politesses et de marques d’intérêt. Wolf’s-Crag était la cour de la baronnie et Caleb en était le premier ministre. Il est généralement reconnu que les percepteurs de taxes, assez mal reçus des maris qui les paient, sont toujours accueillis par les femmes, auxquelles ils fournissent les

  1. Comme qui dirait la mère saute-muraille. a. m.
  2. Étoffe grisâtre et commune dont les paysannes écossaises font leurs robes. a. m.
  3. Saluted signifie à la fois embrasser ou saluer. Toutefois il n’y a guère que les proches parents qui s’embrassent en Angleterre. a. m.