Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blait être dans la situation d’un acteur qui s’est hasardé à se charger d’un rôle qu’il se sent incapable de jouer et qui reste court au moment où il devrait parler. Il s’efforça de déguiser son embarras par toutes les cérémonies extérieures qui indiquent un homme de la bonne société ; mais il était évident qu’après avoir fait sa révérence, un pied en avant comme dans le dessein de s’approcher, l’autre en arrière comme pour s’éloigner, il s’efforçait de détacher le collet de son manteau et de relever son chapeau de dessus sa figure avec autant de peine que si l’un eût été attaché avec des agrafes de fer rouillé, et l’autre aussi lourd qu’une masse de plomb. L’obscurité du ciel paraissait devenir plus profonde, à mesure qu’il retirait avec tant de répugnance ces parties de son habillement. L’impatience de Ravenswood croissait aussi en proportion des délais de l’étranger. Il paraissait éprouver une agitation qui provenait probablement d’une cause toute différente. Il tâchait de réprimer son désir de parler, tandis que l’étranger semblait embarrassé de trouver des mots pour exprimer ce qu’il sentait qu’il était nécessaire de dire. À la fin Ravenswood, cédant à son impatience, rompit le silence qu’il s’était imposé.

« Je m’aperçois, dit-il, que sir William Ashton n’est pas disposé à se faire connaître dans le château de Wolf’s-Crag. — J’avais espéré que cela n’était pas nécessaire, » dit le lord garde des sceaux, dans un état de contrainte semblable à celui d’un spectre interpellé par l’exorciste, « et je vous remercie d’avoir pris le premier la parole, Maître de Ravenswood, lorsque des circonstances, de malheureuses circonstances, permettez-moi de les appeler telles, rendaient cette initiative difficile et pénible. — Je ne dois donc pas, » dit gravement le Maître de Ravenswood, « regarder l’honneur de cette visite comme purement accidentel ? — Distinguons un peu, » répondit le lord Keeper affectant un calme qui peut-être était loin de son cœur, « c’est un honneur que j’ai vivement désiré depuis quelque temps, mais que je n’aurais peut-être jamais obtenu sans la circonstance de cet orage. Ma fille et moi nous nous félicitons également d’avoir trouvé l’occasion d’offrir nos remercîments à l’homme brave et généreux à qui elle est redevable de sa vie et moi de la mienne. »

Les haines qui divisaient les familles, dans les temps de la féodalité, n’étaient guère moins invétérées, quoiqu’elles ne se manifestassent point par des actes de violence ouverte. Ni les sentiments que Ravenswood avait commencé à éprouver pour Lucy