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naire de sobriété et presque d’abstinence, il était aussi heureux de présider à la table, que si ses convives eussent été des fils de princes. Craigengelt avait ses raisons pour pousser les choses aussi loin qu’elles pourraient aller, et comme il avait une gaieté vulgaire, beaucoup d’impudence, et qu’il chantait agréablement quelques couplets grivois, connaissant d’ailleurs parfaitement le caractère de Bucklaw, il réussit complètement à le plonger au milieu de tous les excès de cette orgie.

Pendant ce temps une scène bien différente avait lieu à la tour de Wolf’s-Crag. Lorsque le Maître de Ravenswood eut traversé la cour, trop occupé de ses réflexions pénibles pour faire attention au manège de Caleb, il introduisit ses hôtes dans la grande salle du château.

L’infatigable Balderstone qui, par goût ou par habitude, travaillait depuis le matin jusqu’au soir, avait peu à peu débarrassé ce lugubre appartement des restes confus du banquet des funérailles et rétabli un peu d’ordre. Mais tout son talent et tout le soin qu’il avait pris pour placer de la manière la plus avantageuse le peu de meubles qui restaient, n’avaient pu empêcher que les murs antiques et dépourvus de tout ornement ne donnassent à cette salle un air sombre et triste. D’étroites fenêtres pratiquées dans la profonde épaisseur du mur semblaient plutôt faites pour exclure que pour admettre la lumière, et l’aspect menaçant de la tempête ajoutait encore à l’obscurité.

Tandis que Ravenswood, avec toute la gracieuse galanterie de cette époque, mais non sans une certaine raideur et quelque embarras, conduisait la jeune dame à l’extrémité de la salle, le père se tint debout près de rentrée, comme cherchant à se débarrasser de son chapeau et de son manteau. En ce moment le bruit de la porte du château vint jusqu’à eux ; l’étranger tressaillit, s’approcha avec empressement de la fenêtre et jeta sur Ravenswood un regard rempli d’alarme, en voyant que la porte était fermée et que ses gens étaient restés en dehors.

« Vous n’avez rien à craindre, monsieur, lui dit gravement Ravenswood, ce toit a tous les moyens de vous protéger, quoiqu’il n’ait pas ceux de vous accueillir dignement. Mais il me semble, ajouta-t-il, qu’il est temps que je sache quelles sont les personnes qui honorent ainsi de leur présence ma demeure délabrée. »

La jeune dame garda le silence et ne fit aucun mouvement ; et le père, à qui la question était plus directement adressée, sem-