Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/110

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Bucklaw, qui avait continué sa course avec la même ardeur qu’il l’avait commencée, arriva le premier à l’endroit où le cerf, incapable de prolonger sa fuite, s’était retourné sur les chiens, et, comme disent les chasseurs, était aux abois. Avec sa tête majestueuse, penchée, ses flancs couverts d’écume, ses yeux exprimant tout à la fois la rage et la terreur, l’animal, bien qu’épuisé, était devenu à son tour un objet d’alarme pour ceux qui le poursuivaient. Les chasseurs arrivaient l’un après l’autre et guettaient une occasion pour l’attaquer avec avantage, ce qui, en pareilles circonstances, ne peut se faire qu’avec précaution. Les chiens se tenaient à l’écart, et témoignaient par leurs aboiements redoublés leur impatience et leur frayeur, et chacun des chasseurs semblait attendre que son camarade se chargeât de la tâche périlleuse d’attaquer l’animal et de le mettre hors d’état de se défendre. Le terrain, qui était creux dans cet endroit, offrait peu d’avantage pour aborder le cerf, sans en être aperçu. Bientôt l’on entendit un cri général de triomphe. Bucklaw, avec une dextérité qui distinguait un cavalier accompli du jour, sauta à bas de son cheval, et se précipitant subitement sur le cerf, le fit tomber en lui coupant une jambe de derrière avec son petit couteau de chasse. Les chiens accourant sur leur ennemi abattu mirent bientôt fin à ses souffrances et proclamèrent sa mort par leurs aboiements. Les fanfares des cors et les voix des chasseurs firent entendre un chant de mort qui retentit au loin sur les vagues de l’océan voisin.

Le chef des chasseurs rappela alors la meute encore acharnée sur le cerf privé de vie, et mettant un genou en terre, présenta son couteau à une belle dame montée sur un palefroi blanc, qui, par crainte, ou peut-être par compassion, s’était jusqu’alors tenue à distance. Elle avait un masque de soie noire, mode alors généralement adoptée, tant pour préserver le teint de la pluie et des ardeurs du soleil, que par un motif de bienséance qui ne permettait pas à une dame de paraître la figure découverte au milieu d’un divertissement bruyant, auquel prenaient part des personnes de toutes les classes. La richesse de sa parure néanmoins, aussi bien que la beauté de son palefroi et le compliment champêtre que lui fit le veneur, firent juger à Bucklaw que c’était la reine de la chasse. Ce ne fut pas sans un sentiment de pitié, qui approchait même du mépris, que ce chasseur enthousiaste la vit refuser le couteau qu’on lui offrait pour qu’elle fît la première incision dans