Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/81

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avez irrité milady contre nous ! Si j’avais pu seulement mettre la main sur quelque habit décent, je me serais élancé hors du lit, et lui aurais dit que je monterais à cheval pour aller où bon lui semblerait, et la nuit et le jour, pourvu qu’elle nous laissât la maison et la cour, et le verger où croissent les meilleurs choux de toute la contrée, et la meilleure herbe pour les vaches. — Oh ! quel malheur ! Mon cher fils Cuddie, » continua la vieille dame, « ne murmurez pas de ce qui vous arrive, et ne vous plaignez pas de souffrir pour la bonne cause. — Mais que sais-je si la cause est bonne ou mauvaise, ma mère ? répondit Cuddie. Malgré toute la belle doctrine que vous avez étalée à ce propos, elle est au-dessus de mon entendement. Je ne vois pas grande différence entre les deux chemins, ainsi que le monde le prétend. Il est très-vrai que les curés lisent deux fois les mêmes choses ; mais je crois qu’une bonne histoire n’est pas plus mauvaise pour être dite deux fois, et on a plus de chance pour l’apprendre. Tout le monde n’est pas aussi prompt que vous à concevoir de pareilles choses, ma mère. — Oh ! mon cher Cuddie, ceci est le plus grand malheur, » dit la mère inquiète. « Oh ! que de fois ne vous ai-je pas montré la différence qui existe entre la pure doctrine évangélique et celle qui est corrompue par les inventions des hommes ! Oh ! mon enfant, si ce n’est pas pour le salut de votre âme, au moins pour mes cheveux gris… — Hé bien, ma mère, » reprit Cuddie en l’interrompant, qu’avez-vous besoin de dire tout cela ? N’ai-je pas fait ce que vous m’avez ordonné, et n’ai-je pas été à l’église, comme vous le vouliez, les dimanches, et travaillé en outre chaque jour pour nous nourrir ? Et c’est précisément ce qui me fâche le plus, quand je pense comment je pourrai trouver de l’ouvrage dans ces temps malheureux. Je ne sais pas s’il sera possible de labourer d’autres champs que ceux de Mains et de Mucklewhame[1]. Je n’ai jamais essayé d’en cultiver d’autres, et je m’en acquitterais difficilement, et puis les propriétaires voisins n’oseront pas nous prendre, voyant que nous avons été renvoyés de Tillietudlem comme non cornistes. — Non-conformistes, mon cher enfant, » dit Mause en soupirant ; « c’est le nom que les hommes mondains nous donnent. — Alors nous serons obligés de nous rendre en des pays éloignés, peut-être à douze ou quinze milles d’ici. Je pourrais me faire dragon sans doute, car je sais monter un cheval et me servir passablement du sabre ; mais vous m’étourdiriez de vos bénédictions et de vos che-

  1. Nom des deux fermes dépendantes de Tillietudlem. a. m.