Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/70

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peut-être les siennes ? elle ne peut jamais être à moi ! L’orgueil de sa grand’mère, les principes opposés de notre famille, le malheureux état de dépendance d’un misérable esclave qui n’a pas même les gages d’un serviteur : toutes ces causes rendent vain l’espoir de notre union. Pourquoi donc alors prolonger cette illusion si pénible ?

« Mais je ne suis pas esclave, » dit-il avec force en se redressant de toute la hauteur de sa taille ; « non certes, je ne suis pas esclave. Je puis changer de séjour : l’épée de mon père est en mes mains, et l’Europe n’est-elle pas ouverte devant moi comme elle l’a été pour lui et pour mille de mes compatriotes qui l’ont remplie du bruit de leurs exploits ? Peut-être quelque chance heureuse peut m’élever au rang de nos Ruthwen, de nos Lesley, de nos Monroë, ces chefs tant aimés du fameux champion protestant Gustave-Adolphe ; sinon, du moins la vie ou le tombeau d’un soldat sont à ma disposition. »

Quand il eut pris cette détermination, il se trouva près de la porte de la maison de son oncle, et il résolut de ne point différer un seul instant de lui en faire part.

« Un seul rayon des yeux d’Édith, une seule promenade à ses côtés ferait tomber toute ma résolution. Allons, je me décide à un parti irrévocable : ce sera la dernière fois que je la verrai. »

Au milieu de ces réflexions, il entra dans la salle lambrissée où son oncle était déjà assis, prenant son repas du matin ; un plat immense de gruau et une quantité proportionné de lait de beurre, étaient devant lui. La ménagère favorite était derrière, tantôt se tenant droite, tantôt s’appuyant sur la chaise de son maître, dans une posture moitié familière, moitié respectueuse. Le vieux gentilhomme avait été dans ses jeunes années d’une taille très élevée, avantage qu’il avait perdu en se courbant au point que, dans un conseil où l’on discutait sur la construction d’un pont qu’on devait jeter sur un ruisseau fort large, un plaisant proposa d’offrir à Milnwood une bonne somme, s’il consentait à prêter son épine dorsale comme modèle, soutenant qu’il donnerait volontiers pour de l’argent tout ce qui pourrait être à sa disposition. Des pieds d’une longueur sans exemple, des mains non moins longues, des doigts maigres, terminés par des ongles dont l’acier n’approcha presque jamais, des joues ridées, un visage sillonné de rides, et dont la longueur répondait à celle de sa taille, une paire de petits yeux gris à l’affût du gain, et qui ne semblaient regarder une