Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir si quelqu’un de ces scélérats, teints de sang, qui ont trempé dans ce meurtre abominable, n’y serait pas caché. »

Avant que Morton eût eu le temps de revenir de l’alarme dans laquelle ce dessein l’avait jeté, une troisième voix s’écria : « Je ne pense pas que cela soit bien nécessaire ! Milnwood est un vieil hypocondre, qui jamais ne se mêle de politique, et qui, par-dessus tout, chérit son argent et ses billets. Son neveu, à ce que j’ai ouï dire, était ce matin au Wappen-Schaw, et a gagné le prix au perroquet, ce qui n’irait guère à un fanatique ; et je pense bien qu’il y a long-temps que tous sont allés se coucher. Cette alarme donnée à ce pauvre vieillard, à une telle heure de la nuit, le tuerait sur-le-champ. — Bien, bien ! répliqua le chef ; si cela est ainsi, nous perdrions à cette recherche un temps qui nous est précieux, et qu’il nous faut employer ailleurs. Régiment des gardes, en avant, marche ! »

Quelques sons affaiblis de la trompette, et le bruit de la timbale qui marquait la mesure, joints à celui des armes et des pas des chevaux, annonçaient que la troupe était déjà loin. La lune, qui se dégagea de dessous les nuages à l’instant où la tête de la colonne atteignait la crête de la colline au pied de laquelle la route tournait, refléta vaguement ses rayons sur l’acier poli des casques, de manière qu’à travers l’obscurité on pouvait presque distinguer les têtes des chevaux et des cavaliers. Ils défilèrent sans interruption et assez long-temps sur la hauteur, car cette troupe était fort nombreuse.

Quand le dernier cavalier eut disparu, le jeune Morton pensa à aller rejoindre son hôte. À peine fut-il rentré dans sa retraite, qu’il le trouva assis sur sa modeste couche, une bible de poche ouverte dans ses mains, et il semblait la méditer avec une attention profonde. Son épée, qu’il avait tirée au premier bruit d’alarme dont l’arrivée des dragons avait frappé son oreille, était posée nue en travers sur ses genoux, et une petite lumière placée à côté de lui sur un vieux coffre jetait une clarté incertaine et tremblante sur ses traits durs et tristes, dont la férocité était ennoblie par l’enthousiasme qui les animait. Sa physionomie était celle d’un homme chez lequel un principe puissant, tyrannique, a subjugué et fait disparaître toute autre passion et tout autre sentiment ; de même que la vague qui s’enfle à la marée montante couvre les rocs et les rescifs, que l’œil ne distingue plus, sinon par l’écume bouillonnante des flots tournoyants. Morton avait à