Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas une mauvaise femme ; elle aimait certainement M. Milnwood et son neveu, et elle les préférait à qui que ce fût au monde, quoiqu’elle les tourmentât extrêmement. Elle regardait alors M. Henri (c’est ainsi qu’elle l’appelait) avec une grande affection, parce qu’il prenait part à sa gaieté.

« Grand bien vous fasse, jeune homme ! Je pense que vous trouverez le repas que vous allez prendre aussi bon que celui de Niel Blane. Feu sa femme était fort adroite ; tout ce qu’elle faisait, elle le faisait bien, parce qu’elle ne sortait pas de sa classe ; et certes, elle ne pouvait pas égaler la ménagère d’un gentilhomme : mais je crains que sa fille ne soit une sotte. Dimanche dernier, à l’église, elle avait sur la tête un bonnet à rubans : à quoi tout cela la conduira-t-il ? Mais je sens mes yeux se fermer ; allons, Henri, ne vous pressez pas ; prenez garde en éteignant la chandelle ! Je vous ai mis une mesure d’ale et un verre d’eau de fleur d’oranger. Je ne donne pas de cela à tout le monde ; je la conserve pour mes maux d’estomac : mais c’est meilleur pour vous que de l’eau-de-vie. Allons, bonsoir, monsieur Henri, et surtout prenez garde à votre chandelle ! »

Morton lui assura qu’il serait fort prudent ; il la pria de ne pas être alarmée si elle l’entendait ouvrir la porte ; car il fallait qu’il allât, selon l’usage, veiller à son cheval et l’arranger pour la nuit. Mistress Wilson se retira, et Morton, serrant ses provisions, allait se rendre près de son hôte, lorsqu’il aperçut, fourrée entre la porte, la tête de la vieille ménagère, lui faisant des signes et lui recommandant de penser à son salut avant de se coucher, et d’invoquer pendant la nuit la protection du ciel.

Telles étaient les coutumes d’une certaine classe de serviteurs, autrefois commune en Écosse : peut-être serait-il même possible d’en trouver encore de semblables dans les contrées désertes. On les considérait alors comme des espèces de meubles appartenant à la maison ; et comme ils ne concevaient jamais, dans le cours de leur vie, la possibilité d’un renvoi, ils étaient sincèrement attachés à tous les membres de la famille[1]. D’un autre côté, lorsqu’ils étaient

  1. Un serviteur de cette espèce s’étant rendu coupable d’une injure grossière envers son maître, reçut ordre de quitter la maison. « Je n’en ferai rien, en vérité, » répondit le manant ; si Votre Honneur ne sait pas quand il a un bon serviteur, je sais, moi, quand j’ai un bon maître ainsi je resterai. » Dans une autre occasion de la même nature, le maître dit : « Jean, vous et moi nous ne pouvons plus à l’avenir reposer sous le même toit. » À quoi Jean répondit avec beaucoup de naïveté : « Où diable Votre Honneur veut-il aller ? »