Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/367

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Lord Evandale était extrêmement inquiet et affligé… Il voyait subitement renversé, sans motif raisonnable, plausible même, au moment où il allait l’accomplir, un plan qui lui avait paru également propre à assurer le sort d’Édith, en des circonstances pénibles, et à faire son propre bonheur. Le caractère d’Édith lui était trop bien connu pour qu’il pût la soupçonner d’attribuer à une apparition son changement de résolution. Sans le témoignage d’Holliday, il l’aurait attribué à son imagination, troublée en ce moment par une soudaine agitation ; mais Holliday n’avait aucune raison de penser à Henri Morton plutôt qu’à toute autre personne, et quand il était venu dire ce qu’il avait vu, il ne connaissait pas la vision qu’avait eue miss Bellenden. D’un autre côté, il lui paraissait absolument invraisemblable que Henri Morton, qu’on avait si long-temps et si inutilement fait chercher, et qu’on supposait avec tant de raison avoir péri quand le Vryheid de Rotterdam s’était perdu corps et biens, fût encore vivant, et qu’il errât dans le pays, où il pouvait, sans aucune crainte, se montrer ouvertement, puisque le gouvernement actuel favorisait le parti pour lequel il avait autrefois combattu. Quand lord Evandale se détermina, non sans répugnance, à communiquer ses doutes au chapelain afin d’avoir son opinion, il n’en put tirer qu’une longue dissertation sur la démonologie. Après avoir cité Delrio, Burthoog et De l’Ancre sur les apparitions, et plusieurs jurisconsultes et praticiens sur la nature des preuves, le savant docteur conclut que, tout bien considéré, son opinion définitive était ou qu’il y avait eu une véritable apparition de l’esprit de feu Henri Morton, sur la possibilité de laquelle, comme théologien et comme philosophe, il n’était disposé à dire ni oui, ni non ; ou que ledit Henri Morton, étant encore in rerum naturâ, était apparu ce matin en personne ; enfin que quelque étrange deceptio visûs, ou ressemblance frappante de visage, avait trompé les yeux de miss Bellenden et de Thomas Holliday. Le docteur ne voulut se prononcer sur aucune de ces trois hypothèses ; mais il affirmait sur sa vie que l’une de ces trois causes était la véritable.

Lord Evandale eut bientôt un nouveau sujet d’inquiétude. On vint lui dire que miss Bellenden était dangereusement malade.

« Je ne partirai point d’ici, s’écria-t-il, avant d’être certain qu’elle est hors de danger. Je ne le puis, ni ne le dois ; car quelle qu’ait été la cause immédiate de sa maladie, c’est moi qui l’ai fait naître par mes malheureuses sollicitations. »