Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/320

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lui. Il fixa sur Claverhouse ses yeux dans lesquels brillait encore le sombre feu de ce délire fanatique qui bientôt allait s’éteindre pour toujours, et s’écria, avec sa véhémence ordinaire : « Te fieras-tu à ton arc, à ta lance, à ton coursier, à ta bannière, et Dieu ne te visitera-t-il pas à cause du sang innocent ?… Te glorifieras-tu de ta sagesse, de ton courage, de ta puissance, et le Seigneur ne te jugera-t-il pas ?… Regarde les princes pour lesquels tu as vendu ton âme à l’ennemi des hommes, ils seront renversés de leur trône, bannis dans d’autres pays, et leur nom sera un sujet de désolation, d’étonnement, de raillerie, de malédiction. Et toi qui as bu à la coupe de la fureur et t’en es enivré jusqu’au délire, le souhait de ton cœur sera exaucé pour ta perte, et l’espérance de ton orgueil fera ta ruine. Je te somme, John Graham, de comparaître devant le tribunal de Dieu pour répondre de ce sang innocent et de celui que tu as, avant ce jour, fait couler par flots. »

Il passa sa main droite sur son visage sanglant, et la leva au ciel en prononçant ces mots d’une voix très haute ; puis il ajouta plus bas : « Combien de temps encore, Dieu de justice et de vérité, tarderas-tu à juger et à venger le sang de tes saints ? »

En achevant ces derniers mots, il tomba à la renverse sans chercher à se retenir ; et il était mort avant que sa tête eût touché la terre.

Morton fut singulièrement frappé de cette scène extraordinaire et de la prophétie de cet homme mourant, qui s’accordait d’une manière si merveilleuse avec le désir que Claverhouse venait d’exprimer. Il y pensa plus d’une fois dans la suite, lorsque ce désir parut avoir été accompli. Deux des dragons qui étaient dans la chambre, tout endurcis qu’ils étaient par l’habitude des scènes sanglantes, ne purent sans un certain effroi voir cette apparition soudaine, cette fin si prompte, et entendre les paroles qui l’avaient précédée. Claverhouse seul ne laissa paraître aucune émotion : à l’instant où Habakkuk se leva de terre, il mit la main sur ses pistolets, mais lorsqu’il vit que ce malheureux était couvert de blessures, il la retira sur-le-champ et écouta avec un grand sang-froid ses sinistres prophéties.

« Comment cet homme est-il venu ici ? » demanda-t-il du ton le plus calme dès que le mourant fut tombé à terre. « Réponds donc, coquin, » ajouta-t-il en s’adressant au dragon qui se trouvait le plus près de lui, « si tu ne veux que je te prenne pour un poltron à qui les morts font peur. »