Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

silence aux gémissements du blessé ; et Morton, débarrassé du poids de ce cadavre, se trouva bientôt debout et dans les bras de Cuddie, qui ne put contenir sa joie quand il sut que le sang dont son maître était couvert n’avait point coulé de ses veines. Ce dévoué serviteur, tout en délivrant Morton de ses liens, lui expliqua, par quelques mots dits à l’oreille, commuent il se faisait que ce secours inattendu lui était arrivé si à propos.

« En cherchant quelques soldats de notre parti pour vous délivrer des mains de ces whigs, je tombai dans la troupe de Claverhouse : j’étais entre le diable et la mer. Je pensai qu’il valait mieux amener Claverhouse avec moi, parce qu’il devait être fatigué d’avoir tué toute la journée et une partie de la soirée : il sait que lord Evandale vous doit la vie, et d’ailleurs les dragons assurent que Montmouth donne quartier à tous ceux qui le demandent. Reprenez donc courage, nous pouvons encore être heureux[1]. »

  1. L’incident principal du chapitre précédent m’a été suggéré par une anecdote à peu près pareille, qui me fut racontée par un employé des douanes, aujourd’hui décédé. Se trouvant, dans son service d’inspecteur en chef sur la côte de Galloway à l’époque où les immunités de l’île de Man rendaient la contrebande très-fréquente en ce pays, il eut le malheur, par le zèle qu’il déployait dans ses fonctions, de s’attirer la haine des principaux chefs des contrebandiers. Plus d’une fois sa vie fut en danger. Un soir d’été voyageant à cheval après le coucher du soleil, il tomba tout à coup au milieu d’une troupe des plus hardis contrebandiers de la contrée ; ils l’entourèrent sans lui faire violence, mais se montrèrent prêts à on user en cas de résistance : ils lui donnèrent à entendre qu’ayant eu l’avantage de les rencontrer, il devait passer avec eux le reste de la soirée. Le douanier se soumit de bonne grâce, et demanda seulement d’envoyer un enfant du pays à sa femme et à sa famille pour leur annoncer qu’il serait retenu plus long-temps qu’il n’avait compté. Comme il donna ce message à l’enfant en présence des contrebandiers, il ne pouvait espérer qu’il contribuât à sa délivrance, à moins que le jeune garçon n’eût deviné la position embarrassante où il était, ou bien que la tendresse de sa femme ne lui fît concevoir des inquiétudes. Au contraire, si ce message était transmis dans les termes dont il s’était servi, comme les contrebandiers s’y attendaient, il devait probablement suspendre les alarmes de sa famille au sujet de son absence, et faire différer les recherches jusqu’au moment où elles seraient inutiles. Il se résigna donc à donner ses instructions à son messager, qui se mit sur-le-champ en route. Pour lui, avec une bonne volonté apparente, il accompagna les contrebandiers dans un de leurs repaires habituels. Il se mit à table avec eux ; ils commencèrent à boire et à se livrer à une joie grossière, tandis que comme Mirabelle dans l’Inconstant, leur prisonnier était réduit à subir leurs insolences comme des traits d’esprit, à répondre à leurs outrages avec gaieté, et à éviter les querelles dans lesquelles ils voulaient l’engager afin d’avoir un prétexte pour le maltraiter. Il y réussit pendant quelque temps, mais il comprit bientôt qu’ils avaient l’intention de l’assassiner ou de le battre jusqu’à le laisser presque mort. Par respect pour la sainteté du sabbat, qui était religieusement observé par ces hommes féroces, tout habitués qu’ils étaient à violer les lois divines et humaines, ils suspendirent l’exécution de leur crime jusqu’à ce que ce jour fût écoulé. Ils étaient assis auteur de leur prisonnier en proie à la plus vive inquiétude, échangeant entre eux à voix basse des mois dont le sens le glaçait d’effroi, et tournant fréquemment les yeux sur l’aiguille de l’horloge. L’heure à laquelle, dans leurs préjugés, le meurtre devenait légitime allait sonner, quand leur victime entendit dans l’éloignement un bruit semblable à celui du vent à travers les feuilles desséchées. Le bruit approcha, et devint semblable au murmure d’un ruisseau grossi frappant la rive ; il approcha encore davantage, et l’on put distinguer clairement le galop de plusieurs chevaux. Mistress…, effrayée de l’absence de son mari et du rapport du jeune garçon sur l’air suspect des hommes parmi lesquels il l’avait laissé, avait envoyé chercher à la ville voisine une troupe de dragons : ils arrivaient à propos pour sauver l’officier de la douane des plus mauvais traitements ; peut-être même de la mort.