Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/24

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à son âge et à ses principes ; je le priai respectueusement de m’excuser si j’interrompais ses travaux. Il cessa alors de frapper de son ciseau, ôta ses lunettes et les essuya ; puis les replaçant, il répondit à ma courtoisie d’une manière prévenante. Encouragé par son affabilité, j’osai lui adresser quelques questions sur les infortunés aux tombeaux desquels il travaillait alors. Parler des exploits des presbytériens était le bonheur de sa vie, réparer leurs monuments en était toute l’occupation. Dans la conversation il était prodigue des circonstances les plus minutieuses qu’il avait recueillies sur leurs personnes, leurs guerres et leurs pèlerinages. On aurait presque supposé qu’il avait été leur contemporain, et qu’il avait laissé à tout ce qu’il racontait, tant il avait identifié ses sentiments et ses opinions avec les leurs, et tant ses récits contenaient de ces circonstances spéciales qui ne peuvent être rapportées avec vérité que par un témoin oculaire !

« Oui, dit-il d’un ton inspiré, c’est nous qui sommes les seuls vrais whigs[1]. Des hommes charnels se sont emparés de ce nom illustre, en suivant celui dont le royaume est de ce monde. Lequel d’entre eux consentirait à s’asseoir pendant six heures sur le penchant d’une montagne humide pour y entendre un pieux sermon ? Je pense qu’une heure suffirait pour les fatiguer. Ils ressemblent à peu près à ceux qui osent porter l’odieux nom de tory, de ces torys altérés de sang. Voyez-les dans leur égoïsme courir après les richesses, le pouvoir, les honneurs, et oublier tout ce qu’ont fait ces hommes illustres qui combattirent sur la brèche dans les jours du malheur. Doit-on s’étonner s’ils redoutent aujourd’hui l’accomplissement de ce qu’avait prédit le digne M. Peden, ce précieux serviteur de Dieu, dont les paroles exercèrent une telle influence ; s’ils craignent de voir les Français[2] se rassembler dans les vallons d’Ayr et les landes de Galloway, avec autant de rapidité que le firent les montagnards en 1677 ? Et aujourd’hui ils saisissent l’arc et l’épée, quand ils devraient pleurer leurs crimes et la violation du Covenant. »

Je parvins à apaiser le Vieillard en évitant de contrarier ses opinions particulières ; et désireux de converser plus longuement

  1. Nom que l’on donne au parti libéral en Angleterre, par opposition aux torys, mot qui désigne le parti aristocratique. a. m.
  2. Il paraît, disent les éditeurs de la nouvelle édition d’Édimbourg, que cet entretien avait lieu à l’époque où l’on redoutait une invasion de la part de la France. — Peden est un prédicateur qui se rendit célèbre parmi les caméroniens, ses coreligionnaires. a. m.