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auparavant, néanmoins, réfléchissant à la singularité de ses occupations et à son étrange costume, je n’eus pas de peine à reconnaître en lui ce pieux voyageur dont j’avais souvent entendu parler, et qui était connu dans diverses parties de l’Écosse sous le nom de Old mortality ou Vieillard de la mort.

Où était né cet homme ? quel était son véritable nom ? c’est ce qu’il ne m’a jamais été possible de découvrir ; je n’ai même pu connaître que très-vaguement les motifs qui lui avaient fait abandonner le lieu de sa naissance et adopter cette vie errante. D’après l’opinion la plus générale, il était natif du comté de Dumfries ou de celui de Galloway, et il descendait en ligne directe de quelques-uns de ces champions du Covenant[1] dont les hauts faits et les infortunes étaient le sujet favori de ses conversations. On dit qu’il avait autrefois possédé une ferme peu étendue dans les marais ; mais que, soit par suite de pertes pécuniaires, soit par l’effet de malheurs domestiques, il l’avait abandonnée et avait même renoncé à toute espèce de travail lucratif. Enfin, pour faire usage ici du langage de l’Écriture, il délaissa sa maison, son pays, sa famille, et erra ainsi à l’aventure jusqu’au jour de sa mort, c’est-à-dire pendant l’espace de près de trente années.

Durant ce long pèlerinage, notre pieux enthousiaste avait réglé ses voyages de manière à pouvoir visiter chaque année les tombeaux des infortunés ou presbytériens covenantaires qui avaient péri dans les combats ou par les mains du bourreau, sous le règne des deux derniers Stuarts. Dans la partie occidentale des districts d’Ayr, de Galloway et de Dumfries, ces tombeaux sont très-nombreux ; mais on en trouve aussi dans les autres parties de l’Écosse, où les fugitifs avaient ou succombé les armes à la main, ou subi le dernier supplice. Ces tombes sont souvent éloignées de toute habitation humaine, placées dans des marais, dans des lieux sauvages, où ces malheureux avaient cherché une retraite. Mais quelque inaccessible que fût l’endroit qui les recelait, elles étaient visitées par le Vieillard, lorsqu’elles se trouvaient sur le chemin qu’il parcourait tous les ans. Dans les retraites les plus solitaires des montagnes, le chasseur fut plus d’une fois surpris de le trouver occupé à arracher la mousse qui couvrait les pierres grisâtres des tombeaux, à retracer avec son ciseau les inscriptions à demi effacées, enfin à réparer les emblèmes de la mort dont ces monuments simples sont ordinairement ornés. Des motifs dérivés d’une

  1. Nom par lequel on désignait la ligue ou assemblée des presbytériens. a. m.