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églogues de Virgile et les odes d’Horace se trouvent inséparablement liées avec la figure boudeuse et le ton monotone d’un écolier bredouilleur. Si à ces peines de l’esprit on ajoute celles d’un corps faible et délicat, et une âme qui aspire à une distinction plus élevée que celle d’être le tyran de l’enfance, on pourra se faire quelque idée du soulagement qu’une promenade solitaire, faite dans une belle et fraîche soirée d’été, procure à une tête qui a souffert et à des nerfs ébranlés pendant tant d’heures de la journée dans la pénible tâche de l’enseignement public.

Les moments passés dans ces courtes excursions du soir ont été pour moi les plus heureux d’une vie malheureuse ; et si quelque lecteur bienveillant trouve par la suite du plaisir à parcourir ces pages, fruit de mes veilles, je veux bien qu’il sache que le plan en a été habituellement tracé dans ces heureux instants où libre de tous soucis, retiré loin du fracas et jouissant du paysage tranquille qui s’offrait à mes regards, je me sentais disposé au travail de la composition.

Le lieu de ma retraite, dans ces moments fortunés[1], est le bord d’un petit ruisseau qui, s’échappant à travers un vallon solitaire paré d’une fougère ondoyante, passe devant le village où se trouve l’école du Gandercleugh. Dans le premier quart de mille, je suis quelquefois distrait de mes rêveries, pour répondre aux salutations embarrassées de ceux de mes élèves qui, s’écartant de leurs camarades, viennent pêcher la truite et le fretin dans le petit ruisseau, ou chercher sur ses bords des joncs et des fleurs champêtres ; mais, après le coucher du soleil, les jeunes pêcheurs n’oseraient pousser leurs excursions au-delà de l’espace que je viens de mentionner. En voici la raison : vers l’extrémité de cette étroite vallée et dans un lieu retiré, qui semble fuir le côté du rivage escarpé et couvert de bruyère, se trouve un cimetière abandonné. À l’heure du crépuscule les petits poltrons craignent d’approcher de cet endroit, qui a pour moi un charme vraiment inexprimable. Long-temps il a été le but favori de mes promenades ; et si mon excellent patron n’oublie point sa promesse, ce sera dans ce cimetière, et bientôt sans doute, que je reposerai pour toujours, après le pèlerinage que j’ai fait ici-bas[2].

  1. Le texte dit hours of golden leisure, heures de loisir doré ; ce qui rappelle l’aurea mediocritas d’Horace. a. m.
  2. Mon respectable ami n’est plus ; je me suis acquitté de la promesse que j’avais faite à cet homme si digne de mes regrets. Une pierre tumulaire de belle apparence a été élevée à mes frais sur les lieux mêmes dont il parle ici ; on y a relaté le nom et la profession de Peter Pattieson, la date de sa naissance et de sa mort ; on y voit aussi un témoignage de son mérite, témoignage attesté par moi-même, qui fus son supérieur et son patron. j. c.