Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/133

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dames de cette époque avaient l’habitude de soumettre leurs convives, comme à la peine forte et dure.

Claverhouse, plus empressé de rendre ses hommages à miss Bellenden, près de laquelle il était placé, qu’à satisfaire son appétit, paraissait oublier la bonne chère qui était devant lui. Édith entendait, sans y répondre, plus d’une phrase courtoise qu’il lui adressait avec cette heureuse modulation de voix qu’il savait approprier au ton doux de la conversation, et élever, au milieu du bruit de la guerre, « aussi haut que la trompette au son argentin. » L’idée qu’elle était en présence du chef redoutable de qui dépendait le sort de Henri Morton, le souvenir de la terreur et de l’effroi qui se rattachaient au nom du commandant, lui ôtèrent pendant quelque temps, non seulement le courage de répondre, mais même la force de le regarder. Cependant lorsque, enhardie par le doux son de sa voix, elle leva les yeux pour faire quelque réponse, la personne qu’elle envisageait n’était point l’homme repoussant et farouche que son imagination s’était représenté.

Graham de Claverhouse était dans la fleur de l’âge, d’une taille peu élevée, mais élégante et légère ; ses gestes, son langage et son maintien annonçaient l’habitude de la bonne compagnie. Ses traits offraient même une régularité féminine : un visage ovale, un nez aquilin et bien fait, des yeux d’un brun foncé, un teint tout juste assez brun pour ne pas paraître efféminé ; une lèvre supérieure peu avancée, et relevée comme celle des statues grecques, ombragée légèrement par une petite moustache d’un brun clair, jointe à une profusion de longues boucles de cheveux de même couleur, qui retombaient de chaque côté, contribuaient à former une physionomie semblable à celles que les peintres aiment à copier et les dames à contempler.

La sévérité de son caractère, ainsi que sa valeur audacieuse et entreprenante, que ses ennemis eux-mêmes étaient obligés de reconnaître, étaient cachées sous un extérieur qui semblait plutôt fait pour le salon ou pour la cour que pour le champ de bataille. Le même air de douceur et de gaieté qui régnait dans ses traits semblait respirer dans ses actions et dans son maintien ; enfin on l’aurait pris, à une première vue, pour un homme plutôt voué au plaisir qu’à l’ambition. Toutefois cet extérieur doucereux cachait un esprit d’une hardiesse sans bornes, mais prudent et dissimulé comme celui de Machiavel. Profond dans sa politique, il était imbu, comme de raison, de ce mépris des droits indivi-