Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/119

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si ce n’est vous ? Et ce qui est pis, je suis incertain si, en supposant que j’eusse connu le crime, j’eusse pu me décider, dans ces circonstances, à refuser un refuge momentané au fugitif. — Et par qui, » dit Édith avec inquiétude, « ou sous quelle autorité se fera l’examen de votre conduite ? — On m’a fait entendre que le colonel Graham de Claverhouse, dit Morton, l’un des membres de la commission militaire, serait mon juge ; il a plu à notre roi, à notre conseil privé, et à notre parlement, autrefois si jaloux de la conservation de nos libertés, il leur a plu, dis-je, de lui confier notre vie et notre fortune. — Claverhouse ! » reprit Édith d’une voix éteinte, « juste ciel ! vous êtes perdu avant d’être jugé ! Il a écrit à ma grand’mère qu’il serait ici demain matin pour aller attaquer, à la tête de ses troupes, quelques hommes exaspérés et animés par la présence de deux ou trois des assassins du primat. Ces hommes se sont, dit-on, assemblés pour résister au gouvernement. Les expressions de cette lettre me firent frémir, même avant de penser qu’un ami… — Ne vous alarmez pas trop sur mon sort, chère Édith, » répondit Henri en la soutenant dans ses bras ; « Claverhouse, quoique sévère et impitoyable, est, sous tous les rapports, brave, franc et honorable. Je suis fils d’un soldat, et je plaiderai ma cause en soldat. Il écoutera peut-être plus favorablement une défense franche et sans art, que ne le ferait un juge qui se guide sur les temps et les circonstances ; et véritablement, dans un temps où la justice est si indignement corrompue dans toutes ses branches, j’aime mieux perdre la vie à la suite d’une violence militaire que d’être victime de la haine hypocrite de quelque juge vénal, qui se servirait de la connaissance qu’il a des lois, non pour nous protéger, mais pour nous perdre. — Vous êtes perdu… vous êtes perdu, s’il faut que vous plaidiez votre cause devant Claverhouse ! dit Édith en gémissant. Déraciner et élaguer, voilà les expressions les plus douces de sa lettre. Le malheureux primat était son intime ami et son premier protecteur. Aucune excuse, aucun subterfuge, d’après sa lettre, ne pourront préserver de la peine rigoureuse prononcée par la loi ceux qui ont eu quelque complicité dans cette action, ou ceux qui ont protégé et recueilli les assassins. Il me faut, ajoute-t-il, pour venger ce meurtre abominable, autant de têtes qu’il y avait de cheveux gris sur la tête du vénérable vieillard. Il n’y a ni pitié ni faveur à attendre de lui. »