Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/118

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saisies, elle ne put d’abord articuler que ces mots : « J’ai fait une étrange démarche, monsieur Morton, une démarche, » continua-t-elle avec plus de calme à mesure que l’ordre se rétablissait dans ses idées par suite d’un violent effort sur elle-même ; « une démarche qui peut m’exposer même à votre désapprobation ; mais je vous ai permis depuis long-temps de me parler le langage de l’amitié, peut-être pourrais-je dire plus ; il m’est impossible aujourd’hui de vous abandonner, quand le monde semble se séparer de vous. Comment ou pourquoi cet emprisonnement ? que veut-on faire ? mon oncle qui vous estime tant, votre propre parent, Milnwood, ne peuvent-ils vous être utiles ? quels moyens peut-on mettre en usage, et que pouvez-vous redouter ? — Je m’abandonne entièrement aux coups du sort, » reprit Henri en cherchant à se rendre maître de la main qui lui avait échappé, mais qu’il lui fut permis de reprendre ; « je ne redoute plus rien. Ah ! cet instant est sans doute le plus fortuné d’une vie de malheurs et d’ennuis. C’est à vous, chère Édith… pardonnez-moi, je devrais dire miss Bellenden, mais le malheur s’arroge d’étranges privilèges ;… c’est à vous que j’ai dû les seuls instants de bonheur qui ont embelli mon existence ; et si je dois quitter bientôt la vie, le souvenir de ces instants fera ma consolation à ma dernière heure. — Ô ciel ! serait-il possible, monsieur Morton ? dit miss Bellenden. Vous qui vous mêliez si peu à nos malheureuses dissensions, comment vous y trouvez-vous si soudainement impliqué, et à un tel point que, pour expier cette faute, il ne faille rien moins que… » Elle s’arrêta, incapable de prononcer le mot qui devait suivre. — « Rien moins que ma vie, vouliez-vous dire ? » reprit Morton d’un ton calme, mais triste ; « je crois que cela dépend entièrement de mes juges. Mes gardiens ont parlé de la possibilité de commuer la peine en me permettant de prendre du service à l’étranger. Je croyais pouvoir embrasser l’alternative ; et cependant, miss Bellenden, depuis que je vous ai revue, je sens que l’exil serait plus cruel que la mort. — Et est-il donc vrai, s’écria Édith, que vous ayez été assez téméraire pour entretenir des liaisons avec un des scélérats qui ont assassiné le primat ? — Je ne savais même pas qu’un tel crime eût été commis, reprit Morton, quand j’eus le malheur d’abriter pendant une nuit et de cacher un de ces féroces insensés, l’ancien ami et le camarade de mon père. Mais mon ignorance me sera de peu de secours ; car, miss Bellenden, qui voudra me croire,