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mais la dame de Branksome ne répandit ni larmes ni fleurs sur le cercueil sanglant de son époux ! La vengeance, s’inspirant de la vue de ses restes inanimés, faisait taire tout autre sentiment plus doux ; sa fierté hautaine refoula des larmes qui l’eussent humiliée, jusqu’à l’instant où entouré de son clan en deuil, sur les genoux de sa nourrice, son fils bégaya ces mots : « Si je deviens jamais homme, la mort de mon père sera vengée ! » Alors les pleurs d’une mère se firent jour, et inondèrent le visage animé de l’enfant.

X.

Laissant flotter en désordre et ses vêtements et l’or de ses blonds cheveux, Marguerite, penchée sur le corps mutilé de son père, versait des larmes de désespoir. Mais la douleur filiale ne faisait pas seule couler ces larmes amères : les angoisses d’un amour plus que jamais sans espoir y mêlait les leurs, sans qu’elle osât chercher dans l’œil indigné de sa mère un regard de sympathie. Son amant avait pris les armes avec les Car contre le clan de son père, lorsque les eaux de Mathouse-Burn arrivèrent jusqu’à Melrose teintes de leur sang, et elle n’ignorait pas que sa mère, dont elle redoutait le courroux, préférât la voir sur son lit de mort plutôt qu’à la voir mariée à lord Cranstoun8.

XI.

La comtesse descendait d’une noble race ; son père, fameux par son savoir, appartenait à la famille des Béthune9, originaire de Picardie : il avait appris l’art que nul ne peut se permettre de nommer à Padoue10, ville située bien au-delà des mers. On disait que, par les secours mystérieux de la magie, il avait changé sa forme naturelle : car, lorsqu’absorbé dans ses recherches studieuses, il se promenait de long en large sous les cloîtres de Saint-André, son corps ne traçait aucune ombre sur la muraille éclairée par le soleil11 !