Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est dû bien antérieurement aux autres. Où ai-je donc lu récemment « que la poésie dans Homère brille surtout des couleurs du monde matériel, et qu’elle ne commence que dans Virgile à toucher le cœur par l’expression du sentiment ? » Ô hérésie et blasphème ! Ceux qui disent cela n’ont pas lu ou n’avaient plus présent Homère, si plein des grandes sources de la sensibilité naturelle. Mais la sensibilité sous sa forme déjà moderne, plus sobre, plus discrète d’expression et encore profonde, telle que nous aimons à nous l’exprimer à nous-mêmes dans une civilisation perfectionnée, elle est surtout chez Virgile. Cette veine intérieure est trop habituelle en lui et trop constante, elle pénètre trop avant dans toutes les parties de sa composition pour ne pas être distinguée comme un signe personnel de son génie. Virgile, comme son héros, a la piété et la pitié, parfois une teinte de tristesse, de mélancolie presque, quoiqu’il faille prendre garde en cela de ne pas trop tirer Virgile à nous ; la mélancolie, en effet, c’est déjà la maladie de la sensibilité : Virgile n’a encore cette sensibilité qu’à l’état naturel et sain, bien qu’avec une grande délicatesse. Il a, dans la peinture de sa touchante victime, de sa Didon immortelle, toutes les tendresses et les secrets féminins de la passion. Il a (et je me plais à rassembler ici toutes les qualités qui se touchent), il a même la chasteté, malgré de certains endroits de ses écrits et malgré de certains accents ; mais j’appelle ainsi, pour un talent poétique, le sérieux dans la manière de sentir, la réserve et la pudeur de l’expression observées jusqu’au milieu de ce qui peut sembler de l’égarement. Et cela est si vrai, que Dante, le poëte austère et l’adorateur de l’amour pur, a été naturellement amené par instinct à se choisir Virgile pour maître et pour guide ; et il le conserve avec lui durant ce voyage mystique, non seulement dans les cercles de l’Enfer, mais jusqu’aux dernières limites du Purgatoire. Ce n’est que lorsque Béatrix descend du Ciel et lui apparaît, ce n’est que lorsqu’à cette vue il se retourne vers Virgile comme vers un père ou vers