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Il décrira ces jours d’allégresse et d’immortel triomphe sur le bouclier divin de son Énée, et couronnera par là le VIIIe livre, le plus romain de toute l’Énéide.

Auguste devenait donc Imperator, il commandait les armées ; il était le Tribun du Peuple, le Consul sans cesse renouvelé, le Proconsul quand il était hors de Rome, le Grand Pontife, le Censeur perpétuel ; qu’il en acceptât ou non les titres qu’on lui offrait, ou qu’il parût les résigner et les déposer quelquefois, il en réunissait tous les pouvoirs ; il s’appelait César, Auguste, au lieu d’Octavien ; proclamé Père de la Patrie, il assumait tous les droits de la puissance paternelle, qui étaient énormes chez les Romains ; il avait droit de vie et de mort sur les sénateurs et les chevaliers : on lui avait donné, réunis en un seul faisceau, par une fiction gigantesque, tous les pouvoirs et toutes les autorités publiques et domestiques de l’ancien ordre républicain. Il avait enfin des autels, et le Ciel après sa mort : que lui fallait-il encore ? le passé, l’origine divine, le nimbe d’or de la tradition ; il lui fallait que tout cela eût été préparé dès la haute antiquité par le Destin ; prédit par les Oracles, et élaboré comme le dernier enfantement merveilleux à travers tous les siècles même de l’épreuve austère et de la vertu républicaine ; il fallait que les Fabricius même et les Dentatus, ces intègres personnages qui avaient vécu et étaient morts pour une patrie libre, ne parussent lui avoir servi que comme d’éclaireurs et de valeureux précurseurs, — une manière de cortége anticipé ! Cette dernière ambition, toute d’opinion et d’esprit, qui est comme un luxe d’une imagination délicate en même temps que grandiose et sévère, honore Auguste à nos yeux, et doit lui faire pardonner beaucoup de choses, comme les lui pardonnait Corneille ; car cela veut dire qu’il lui fallait Virgile comme un dernier artiste qui mettrait la main à son empire pour en achever la décoration et l’ornement. Auguste n’était content et tout à fait glorieux qu’à ce prix, et c’est pourquoi il lui a demandé, à lui le poëte modeste et rou-