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longs travaux ; peu homme du monde, mais homme de solitude, d’intimité, d’amitié, de tendresse ; cultivant le loisir obscur et enchanté, au sein duquel il se consumait sans cesse à perfectionner et à accomplir ses œuvres de gloire, à édifier son temple de marbre, comme il l’a dit allégoriquement. Félicité rare ! destinée, certes, la plus favorisée entre toutes celles des poëtes épiques, si souvent errants, proscrits, exilés ! Mais il savait, et il s’en souvenait sans cesse, combien l’infortune pour l’homme est voisine du bonheur, et que c’est entre les calamités d’hier et celles de demain que s’achètent les intervalles de repos du monde. Après les déchirements de la spoliation et de l’exil, ayant reconquis, et si pleinement, toutes les jouissances de la nature et du foyer, il n’oublia jamais qu’il n’avait tenu à rien qu’il ne les perdît : un voile légèrement transparent en demeura sur son âme pieuse et tendre.

Je ne conçois pas, à cette distance où nous sommes, d’autre biographie de Virgile qu’une biographie idéale, si je puis dire. Les anciens grammairiens, chez qui on serait tenté de chercher une biographie positive du poëte, y ont mêlé trop d’inepties et de fables ; mais, de quelques traits pourtant qu’ils nous ont transmis et qui s’accordent bien avec le ton de l’âme et la couleur du talent, résulte assez naturellement pour nous un Virgile timide, modeste, rougissant, comparé à une vierge, parce qu’il se troublait aisément, s’embarrassait tout d’abord, et ne se développait qu’avec lenteur ; charmant et du plus doux commerce quand il s’était rassuré ; lecteur exquis (comme Racine), surtout pour les vers, avec des insinuations et des nuances dans la voix ; un vrai dupeur d’oreilles quand il récitait d’autres vers que les siens. Dans un chapitre du Génie du Christianisme, où il compare Virgile et Racine, M. de Chateaubriand a trop bien parlé de l’un et de l’autre, et avec trop de goût, pour que je n’y relève pourtant pas un passage hasardé qui n’irait à rien moins qu’à fausser, selon moi, l’idée qu’on peut se faire de la personne de Virgile :