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DE L’ESPRIT HUMAIN.

figures qui répondent à leurs passions ; mais encore s’y tromperait-on[1].

38. — De la pitié.

La pitié n’est qu’un sentiment mêlé de tristesse et d’amour[2] ; je ne pense pas qu’elle ait besoin d’être excitée par un retour sur nous-mêmes, comme on le croit[3]. Pourquoi la misère ne pourrait-elle sur notre cœur ce que fait la vue d’une plaie sur nos sens ? N’y a-t-il pas des choses qui affectent immédiatement l’esprit ? L’impression des nouveautés ne prévient-elle pas toujours nos réflexions ? Notre âme est-elle incapable d’un sentiment désintéressé[4] ?

39. — De la haine.

La haine est une déplaisance dans l’objet haï. C’est une tristesse qui nous donne, pour la cause qui l’excite, une secrète aversion on appelle cette tristesse jalousie, lorsqu’elle est un effet du sentiment de nos désavantages comparés au bien de quelqu’un. Quand il se joint à cette jalousie de la haine, une volonté de vengeance dissimulée par faiblesse, c’est envie.

  1. [Faible. Il y a de meilleures choses à dire. — V.] — On peut encore ajouter qu’un chap. sur la Physionomie ne paraît pas à sa place dans ce 2e livre, qui traite des Passions.
  2. Vauvenargues entend ici par amour, toute disposition qui nous porte vers un objet ; comme il entend par haine, toute disposition qui nous en éloigne. — S.
  3. Vaucenargues fait évidemment allusion à La Rochefoucauld qui prétend que la pitié « est une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber, » et que « les services que nous rendons sont, à proprement parler, des biens que nous faisons par avance. » (264e Max.). — G.
  4. [Cela mérite plus de détail. — V] — [Vous entendrez Helvétius s’écrier : « Quel autre motif que l’intéret personnel pourrait déterminer un homme à des actions généreuses ? » Vous aimerez mieux sans doute entendre ici Vauvenargues qui s’écrie : « Notre âme est-elle donc incapable d’un sentiment désintéressé ? » Les deux exclamations contraires ont également le ton de la conviction intime ; mais Helvétius entasse à l’appui de la sienne une foule de mauvais raisonnements, et celle de Vauvenargues est le dernier mot d’un court chapitre sur la Pitié. C’est qu’il était bien sur que tous ceux qui ont une âme le dispenseraient de la preuve, et qu’Helvétius sentait que tout son esprit ne suffirait pas pour répondre à l’âme de ses lecteurs. — La h.]