Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/95

Cette page n’a pas encore été corrigée
41
DE L’ESPRIT HUMAIN.

sa- lâchement aux jugements souvent injustes du public ; ils n’ont pas de quoi résister, etc.[1]

36. — De l’amour.

Il entre ordinairement beaucoup de sympathie dans l’amour, c’est-à-dire une inclination dont les sens forment le nœud ; mais, quoiqu’ils en forment le nœud, ils n’en sont pas toujours l’intérêt principal ; il n’est pas impossible qu’il y ait un amour exempt de grossièreté.

Les mêmes passions sont bien différentes dans les hommes. Le même objet peut leur plaire par des endroits opposés. Je suppose que plusieurs hommes s’attachent à la même femme : les uns l’aiment pour son esprit, les autres pour sa vertu, les autres pour ses défauts, etc. ; et il se peut faire encore que tous l’aiment pour des choses qu’elle n’a pas, comme lorsqu’on aime une femme légère que l’on croit solide. N’importe ; on s’attache à l’idée qu’on se plaît à s’en figurer, ce n’est même que cette idée que l’on aime, ce n’est pas la femme légère ainsi l’objet des passions n’est pas ce qui les dégrade ou ce qui les ennoblit, mais la manière dont on envisage cet objet. Or j’ai dit qu’il était possible que l’on cherchât dans l’amour quelque chose de plus que l’intérêt de nos sens. Voici ce qui me le fait croire. Je vois tous les jours dans le monde qu’un homme environné de femmes auxquelles il n’a jamais parlé, comme à la messe, au sermon, ne se décide pas toujours pour celle qui est la plus jolie, et qui même lui paraît telle. Quelle est la raison de cela ? c’est que chaque beauté exprime un caractère tout particulier ; et celui qui entre le plus dans le nôtre, nous le préférons. C’est donc le caractère qui nous détermine quelquefois ; c’est donc l’âme que nous cherchons on ne peut me nier cela. Donc tout ce qui s’offre à nos sens ne nous plaît alors que comme une

  1. Voyez le 7e Conseil à un jeune homme. — G.