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DE L’ESPRIT HUMAIN.

qu’il soit vrai ; mais nous sommes si vides, que, s’il offre à nous la moindre ombre de propriété, nous nous y attachons aussitôt. Nous prêtons à un perroquet des pensées et des sentiments ; nous nous figurons qu’il nous aime, qu’il nous craint, qu’il sent nos faveurs, etc. Ainsi nous aimons l’avantage que nous nous accordons sur lui. Quel empire mais c’est là l’homme.

35. — De l’amitié.

C’est l’insuffisance de notre être qui fait naître l’amitié et c’est l’insuffisance de l’amitié même qui la fait périr[1].

Est-on seul, on sent sa misère, on sent qu’on a besoin d’appui ; on cherche un fauteur de ses goûts, un compagnon de ses plaisirs et de ses peines ; on veut un homme dont on puisse posséder le cœur et la pensée. Alors l’amitié paraît être ce qu’il y a de plus doux au monde. A-t-on ce qu’on a souhaité, on change bientôt de pensée.

Lorsqu’on voit de loin quelque bien, il fixe d’abord nos désirs ; et lorsqu’on y parvient, on en sent le néant. Notre âme, dont il arrêtait la vue dans l’éloignement, ne saurait s’y reposer quand elle voit au delà : ainsi l’amitié, qui de loin bornait toutes nos prétentions, cesse de les borner de près ; elle ne remplit pas le vide qu’elle avait promis de remplir ; elle nous laisse des besoins qui nous distraient et nous portent vers d’autres biens.

Alors on se néglige, on devient difficile, on exige bientôt comme un tribut les complaisances qu’on avait d’abord reçues comme un don. C’est le caractère des hommes de s’approprier peu à peu jusqu’aux grâces dont ils jouissent ; une longue possession les accoutume naturellement à regarder les choses qu’ils possèdent comme à eux ; ainsi l’habitude les persuade qu’ils ont un droit naturel sur la volonté de leurs amis. Ils voudraient s’en former un titre pour les gouverner ; lorsque ces prétentions sont réciproques, comme on

  1. [Bien. — V.]