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DE L’ESPRIT HUMAIN.


les choses. En approfondissant les hommes, on rencontre des vérités humiliantes, mais incontestables.

Vous voyez l’âme d’un pêcheur qui se détache en quelque sorte de son corps pour suivre un poisson sous les eaux, et le pousser au piège que sa main lui tend. Qui croirait qu’elle s’applaudit de la défaite du faible animal, et triomphe au fond du filet[1] ? Toutefois rien n’est si sensible.

Un grand, à la chasse, aime mieux tuer un sanglier qu’une hirondelle : par quelle raison ? Tous la voient.

32. — De l’amour paternel.

L’amour paternel ne diffère pas de l’amour-propre[2]. Un enfant ne subsiste que par ses parents, dépend d’eux, vient d’eux, leur doit tout ; ils n’ont rien qui leur soit si propre.

Aussi un père ne sépare point l’idée d’un fils de la sienne, à moins que le fils n’affaiblisse cette idée de propriété par quelque contradiction ; mais plus un père s’irrite de cette contradiction, plus il s’afflige, plus il prouve ce que je dis.

33. — De l’amour filial et fraternel.

Comme les enfants n’ont nul droit sur la volonté de leurs pères, la leur étant au contraire toujours combattue, cela leur fait sentir qu’ils sont des êtres à part, et ne peut pas leur inspirer de l’amour-propre, parce que la propriété ne saurait être du côté de la dépendance : cela est visible. C’est par cette raison que la tendresse des enfants n’est pas

  1. Cette courte et énergique peinture est tout à fait dans le ton de La Bruyère. — G.
  2. Voltaire et La Harpe, remarquent que, pour suivre la distinction qu’il a établie plus haut (ch. 24), Veuvenargues devait dire, ici plus que partout ailleurs, de l’amour de nous-mêmes. Si, malgré l’avis de Voltaire, l’auteur a maintenu le mot, c’est qu’en effet il n’entend parler ici que de l’idée de propriété, comme il l’appelle, et de la part d’égoïsme qui entre, à cet égard, dans cette affection. Le chapitre suivant explique, par opposition, la pensée de Vauvenargues. — G.