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DE L’ESPRIT HUMAIN.

Le génie et l’activité portent les hommes à la vertu et à la gloire les petits talents, la paresse, le goût des plaisirs, la gaieté et la vanité les fixent aux petites choses ; mais en tout c’est le même instinct ; et l’amour du monde renferme de vives semences de presque toutes les passions.

27. — Sur l’amour de la gloire.[1]

La gloire nous donne sur les cœurs une autorité naturelle qui nous touche sans doute autant que nulle de nos sensations, et nous étourdit plus sur nos misères qu’une vaine dissipation elle est donc réelle en tous sens.

Ceux qui parlent de son néant inévitable soutiendraient peut-être avec peine le mépris ouvert d’un seul homme. Le vide des grandes passions est rempli par le grand nombre des petites : les contempteurs de la gloire se piquent de bien danser, ou de quelque misère encore plus basse. Ils sont si aveugles qu’ils ne sentent pas que c’est la gloire qu’ils cherchent si curieusement[2], et si vains qu’ils osent la mettre dans les choses les plus frivoles. La gloire, disent-ils, n’est ni vertu ni mérite ; ils raisonnent bien en cela elle n’est que leur récompense ; mais elle nous excite donc au travail et à la vertu, et nous rend souvent estimables afin de nous faire estimer.

Tout est très abject dans les hommes, la vertu, la gloire, la vie mais les plus petits ont des proportions reconnues. Le chêne est un grand arbre près du cerisier ; ainsi les hommes à l’égard les uns des autres. Quelles sont les vertus et les inclinations de ceux qui méprisent la gloire ? L’ont-ils méritée ?

  1. [Excellent. — V.] — (Voir plus loin les deux discours sur le même sujet.) — G.
  2. « Ceux qui écrivent contre la gloire veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit ; et ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l’avoir lu ; et moi qui écris ceci, j’ai peut-être cette envie ; et peut-être que ceux qui le liront, l’auront aussi. » — Pascal, 1re partie, art. V, pensée III. — G.