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DE L’ESPRIT HUMAIN.

mais la magnificence des paroles avec de faibles idées est proprement du phébus : le sublime veut des pensées élevées, avec des expressions et des tours qui en soient dignes.

L’éloquence embrasse tous les divers caractères de l’élocution : peu d’ouvrages sont éloquents ; mais on voit des traits d’éloquence semés dans plusieurs écrits. Il y a une éloquence qui est dans les paroles, qui consiste à rendre aisément et convenablement ce que l’on pense, de quelque nature qu’il soit ; c’est là l’éloquence du monde. Il y en a une autre dans les idées mêmes et dans les sentiments ; jointe à celle de l’expression c’est la véritable. On voit aussi des hommes que le monde échauffe, et d’autres qu’il refroidit. Les premiers ont besoin de la présence des objets ; les autres d’être retirés et abandonnés à eux-mêmes : ceux-là sont éloquents dans leurs conversations, ceux-ci dans leurs compositions.

Un peu d’imagination et de mémoire, un esprit facile, suffisent pour parler avec élégance ; mais que de choses entrent dans l’éloquence ! le raisonnement et le sentiment, le naïf et le pathétique, l’ordre et le désordre, la force et la grâce, la douceur et la véhémence, etc. Tout ce qu’on a jamais dit du prix de l’éloquence n’en est qu’une faible expression. Elle donne la vie à tout : dans les sciences, dans les affaires, dans la conversation, dans la composition, dans la recherche même des plaisirs, rien ne peut réussir sans elle. Elle se joue des passions des hommes, les émeut, les calme, les pousse et les détermine à son gré : tout cède à sa voix ; elle seule enfin est capable de se célébrer dignement.

14. — De l’Invention.

Les hommes ne sauraient créer le fond des choses ; ils le modifient. Inventer n’est donc pas créer la matière de ses inventions, mais lui donner la forme. Un architecte ne fait pas le marbre qu’il emploie à un édifice, il le dispose ;