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DE L’ESPRIT HUMAIN.

les-ci au contraire. Nous avons mis peut-être cette qualité à plus haut prix qu’aucun autre peuple de la terre ; nous voulons donner beaucoup de choses à entendre sans les exprimer, et les présenter sous des images douces et voilées ; nous avons confondu la délicatesse et la finesse, qui est une sorte de sagacité sur les choses de sentiment. Cependant la nature sépare souvent des dons qu’elle a faits si divers : grand nombre d’esprits délicats ne sont que délicats ; beaucoup d’autres ne sont que fins ; on en voit même qui s’expriment avec plus de finesse qu’ils n’entendent, parce qu’ils ont plus de facilité à parler qu’à concevoir. Cette dernière singularité est remarquable ; la plupart des hommes sentent au delà de leurs faibles expressions : l’éloquence[1] est peut-être le plus rare comme le plus gracieux de tous les dons.

La force vient aussi d’abord du sentiment, et se caractérise par le tour de l’expression ; mais quand la netteté et la justesse ne lui sont pas jointes, on est dur au lieu d’être fort, obscur au lieu d’être précis, etc.

10. — De l’Étendue de l’esprit.

Rien ne sert au jugement et à la pénétration comme l’étendue de l’esprit. on peut la regarder, je crois, comme une disposition admirable des organes, qui nous donne d’embrasser beaucoup d’idées à la fois sans les confondre.

Un esprit étendu considère les êtres dans leurs rapports mutuels ; il saisit d’un coup d’œil tous les rameaux des choses ; il les réunit à leur source[2] et dans un centre commun ; il les met sous un même point de vue ; enfin il répand la lumière sur de grands objets et sur une vaste surface[3].

  1. [Peu lié. — V.] — La liaison est immédiate. Vauvenargues soutient avec raison que l’éloquence consiste, non pas dans le sentiment pur et simple, mais dans l’expression de ce sentiment ; or, comme les hommes, en général, sentent plus vivement qu’ils ne peuvent rendre, il en conclut que le don de l’éloquence est rare. — G.
  2. Métaphore incohérente : un rameau n’a pas de source. — M.
  3. Sur l’exemplaire d’Aix, Voltaire remarque avec raison que cette définition de l’esprit étendu ressemble trop à celle que Vauvenargues a donnée plus haut de la profondeur. — G.