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PRÉLIMINAIRE.


sans doute ? Or, où trouverai-je ces rapports, sinon dans l’étude de moi-même et la connaissance des hommes, qui sont l’unique fin de mes actions et l’objet de toute ma vie ? Mes plaisirs, mes chagrins, mes passions, mes affaires, tout roule sur eux ; si j’existais seul sur la terre, sa possession entière serait peu pour moi : je n’aurais plus ni soins, ni plaisirs, ni désirs ; la fortune et la gloire même ne seraient, pour moi que des noms ; car il ne faut pas s’y méprendre : nous ne jouissons que des hommes, le reste n’est rien. Mais, continuai-je, éclairé par une nouvelle lumière : qu’est-ce que l’on ne trouve point dans la connaissance de l’homme ? Les devoirs des hommes rassemblés en société, voilà la morale ; les intérêts réciproques de ces sociétés, voilà la politique ; leurs obligations envers Dieu, voilà la religion.

Occupé de ces grandes vues, je me proposai d’abord de parcourir toutes les qualités de l’esprit, ensuite toutes les passions, et enfin toutes les vertus et tous les vices qui, n’étant que des qualités humaines, ne peuvent être connus que dans leur principe. Je méditai donc sur ce plan, et je posai les fondements d’un long travail. Les passions inséparables de la jeunesse, des infirmités continuelles, la guerre survenue dans ces circonstances, ont interrompu cette étude[1]. Je me proposais de la reprendre un jour dans le repos, lorsque de nouveaux contre-temps m’ont ôté, en quelque manière, l’espérance de donner plus de perfection à cet ouvrage. Je me suis attaché, autant que j’ai pu, dans cette seconde édition, à corriger les fautes de langage qu’on m’a fait remarquer dans la première ; j’ai retouché le style en beaucoup d’endroits.

  1. Dans la première édition, le Discours préliminaire finissait ici par cette phrase : « Je me proposais de la reprendre un jour dans la retraite, lorsque des raisons plus fâcheuses m’ont forcé encore une fois de lâcher prise. Puisse cet écrit, dans l’imperfection ou je le laisse, inspirer aux amateurs de la vérité le désir de la connaitre davantage ! Il n’y a ni talents, ni sagesse, ni plaisirs solides au sein de l’erreur. » — La carrière militaire fermée devant lui, la carrière diplomatique ne s’ouvrant pas ou ne s’ouvrant que trop tard, le désir de vivre à Paris et la difficulté d’y vivre dans un état voisin de la pauvreté (voir ses lettres à Saint-Vincens), enfin sa dernière maladie, et le sentiment qu’il avait de sa mort prochaine, voilà les raisons fâcheuses auxquelles Vauvenargues fait allusion avec une discrétion et une sérénité qui l’abandonneront quelquefois dans ses réflexions, mais jamais dans sa conduite. — G.