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ET MAXIMES.


de lectures si ennuyeuses et si fatigantes que celle d’un traité entre des princes[1].

900.  L’essence de la paix est d’être éternelle, et cependant nous n’en voyons durer aucune l’âge d’un homme, et à peine y a-t-il quelque règne où elle n’ait été renouvelée plusieurs fois. Mais faut-il s’étonner que ceux qui ont eu besoin de lois pour être justes, soient capables de les violer[2] ?

901.  La politique fait entre les princes ce que les tribunaux de la justice font entre les particuliers : plusieurs faibles, ligués contre un puissant, lui imposent la nécessité de modérer son ambition et ses violences[2].

902.  Il était plus facile aux Romains et aux Grecs[3] de subjuguer de grandes nations, qu’il ne l’est aujourd’hui de conserver une petite province justement conquise, au milieu de tant de voisins jaloux, et de peuples également instruits dans la politique et dans la guerre, et aussi liés par leurs intérêts, par les arts, ou par le commerce, qu’ils sont séparés par leurs limites.

903.  M. de Voltaire[4] ne regarde l’Europe que comme une république formée de différentes souverainetés. Ainsi, un esprit étendu diminue en apparence les objets, en les confondant dans un tout qui les réduit à leur juste étendue ; mais il les agrandit réellement, en développant leurs rapports, et en ne formant de tant de parties irrégulières qu’un seul et magnifique tableau.

904.  C’est une politique utile, mais bornée, de se déterminer toujours par le présent, et de préférer le certain à l’incertain, quoique moins

  1. [C’est bien la peine d’imprimer cela ! — V.]
  2. a et b [2 et 2 font 4. — V.]
  3. On sait que les Grecs ont renversé et conquis le royaume de Perse, et que les Romains ont envahi presque toute la partie du monde connue de leur temps. Il est vraisemblable que l’auteur veut mettre ici en opposition, avec ces conquêtes, l’acquisition de la Lorraine faite par Louis XV, roi de France, en 1736. — F.
  4. Dans son Siècle de Louis XIV, ch. II, Voltaire développe effectivement cette grande et belle idée. Vauvenargues ne le désignait ici que par la lettre initiale de son nom. — F. — Var. : « L’équilibre que les souverains tâchent de maintenir dans l’Europe, les oblige à n’être pas plus injustes que leurs sujets, et ne fait, en quelque manière, qu’une république de tant de royaumes. » — Vauvenargues ajoute, en note : « On trouvera cette pensée mieux développée dans un ouvrage de M. de Voltaire, où je l’ai prise. » — Il est à propos de remarquer que Vauvenargues n’a pu trouver la pensée dont il s’agit que dans l’Essai sur le siècle de Louis XIV, et non pas dans le Siècle de Louis XIV lui-même, ainsi que Fortia semble l’indiquer ; ce dernier ouvrage n’a paru qu’en 1751, quatre ans après la mort de Vauvenargues, tandis que le premier est de la fin de 1739. — G.