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ET MAXIMES.

659.  [J’avais un laquais, qui était fort jeune ; j’étais en voyage ; il me dit que je venais de souper avec un homme de beaucoup d’esprit. Je lui demandai a quoi il connaissait qu’un homme avait de l’esprit : — « C’est quand il dit toujours la verité. — Voulez-vous dire que c’est quand il ne trompe personne ? — Non, Monsieur, mais quand il ne se trompe pas lui-même. » Je pensai aussitôt que ce jeune homme[1] pouvait bien avoir lui-même plus d’esprit que Voiture et que Benserade ; il est bien sûr, au moins, qu’un bel-esprit n’aurait pas rencontré aussi juste.]

660.  [Presque toutes les choses où les hommes ont attaché de la honte, sont très-innocentes : on rougit de n’être pas riche, de n’être pas noble, d’être bossu ou boiteux, et d’une infinité d’autres choses dont je ne veux pas parler. Ce mépris, par lequel on comble les disgrâces des malheureux, est la plus forte preuve de l’extravagance et de la barbarie de nos opinions.]

661.  [Je ne puis mépriser un homme, à moins que je n’aie le malheur de le haïr pour quelque mal qu’il m’a fait ; je ne comprends pas le dédain paisible que l’on nourrit de sang-froid pour d’autres hommes.]

662.  [Lorsque j’ai été à Plombières, et que j’ai vu des personnes de tout sexe, de tout âge, et de toute condition,

  1. Ce mot est à noter ; il marque le respect de Vauvenargues pour l’intelligence ; ici le laquais a disparu, l’égalité est rétablie. Ajoutons que Vauvenargues méritait plus que personne d’avoir à son service un homme d’autant de sens. N’est-ce pas aussi le cas de rappeler que, vers le même temps, il y avait quelque part un autre laquais, qui s’appelait J.-J. Rousseau ? — G.