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653. [Pourquoi un jeune homme nous plaît-il plus qu’un vieillard ? Il n’y a presque point d’homme qui puisse se dire pourquoi il aime ou il estime un autre homme, et pourquoi lui-même s’adore.]

654. [Un philosophe est un personnage froid ou un personnage menteur ; il ne doit donc figurer qu’un moment dans un poème, qui doit être un tableau vrai et passionné de la nature[1].]

655. [La plupart des grands hommes ont passé la meilleure partie de leur vie avec d’autres hommes qui ne les comprenaient point, ne les aimaient point, et ne les estimaient que médiocrement.]

656. [N’est-ce pas une chose singulière qu’on ne puisse pas même primer dans l’art du chant avec impunité et sans contestation ?]

657. [Il y a des gens qui, se croyant au plus haut degré de l’esprit, assurent qu’ils aiment les bagatelles et les riens, que les folies d’Arlequin les réjouissent, qu’ils aiment les farces, l’opéra-comique, et les pantomimes : pour moi, cela ne m’étonne en aucune manière, et je crois ces gens-là sur leur parole.]

658. [Quand je suis entré dans le monde, j’étais étonné de la rapidité avec laquelle on glissait sur une infinité de choses assez importantes, et je disais en moi-même : Ces gens-ci, qui ont beaucoup d’esprit, jugent qu’il y a beaucoup de réflexions qu’il n’est pas besoin d’exprimer, parce qu’ils voient tout d’abord le bout des choses, et ils ont raison. Je me suis détrompé depuis, et j’ai vu qu’en bonne compagnie, on pouvait s’étendre et s’appesantir, autant qu’ailleurs, sur tous les sujets, pourvu qu’on sût les choisir[2].]

  1. Sans s’en apercevoir, Vauvenargues fait du tort à la Henriade et aux Tragédies de Voltaire ; je doute que celui-ci eût fort goûté cette Maxime. — G.
  2. Le principal intérêt de ces Maximes inédites, notamment de cell-ci, de la suivante et des 661e, 662e et 663e, c’est que l’auteur y est lui-même partie intervenante. Mieux que toutes celles qu’il a publiées, elles nous montrent le procédé de Vauvenargues : au théâtre, en voyage, aux eaux, partout, il observait tout, et tous, jusqu’à son laquais. Il jetait d’abord sur le papier ses observations, telles qu’il venait de les recueillir ; puis, lorsqu’il s’agissait de les faire entrer dans son livre, il en ôtait la forme personnelle, afin de leur donner une couleur plus générale. Le lecteur n’aura qu’à comparer la 384e Pensée avec ses trois variantes, dont la dernière, seule, a été publiée, pour se rendre un compte exact du procédé dont nous parlons, et peut-être regrettera-t-il avec nous de n’avoir pas pour toutes les Maximes, comme pour celles dont nous parlons, l’expression première de la pensée de Vauvenargues. — G.