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ÉLOGE.


longement de notre mémoire parmi les hommes ; ce sont nos pensées, nos sentiments, allant, par une sorte de métempsychose morale, revivre dans d’autres pensées, qu’elles suscitent ou qu’elles encouragent ; en un mot, c’est l’immortalité du souvenir sur cette terre, substituée, au moins comme objet, a l’immortalité de l’âme dans le ciel. À ce compte, il n’y en a plus que pour la gloire et les glorieux ; le commun des hommes périt tout entier dès ce monde, si rien ne l’attend au-delà, et, sur ce point comme sur bien d’autres, Vauvenargues n’a pas de conclusion définitive. Il faut donc le dire, autant son exemple et sa vie donnent une grande idée de la dignité humaine, en nous montrant ce que peut encore pour le bien une âme forte qui ne s’appuie que sur elle, autant sa doctrine, réduite à elle-même, est périlleuse, et impuissante à rendre meilleur un homme faible. La main de Vauvenargues est habile et sûre ; des armes aussi légères peuvent lui suffire ; mais au commun des hommes il en faut de plus solides et de plus résistantes. Et puis, comme il ne vise qu’à l’approbation humaine, c’est assez dire qu’il n’a pas le souci du ciel. Cependant, il ne s’agit ici que du temps où il est en pleine possession de la vie ; car, à mesure qu’il sent la mort venir, à mesure que se dérobe sous ses pieds cette terre où il avait placé tous ses intérêts et toutes ses espérances, il se demande, avec calme toutefois, et sans ce trouble des mourants qui calomnie leur vie, ce qu’il lui reste à espérer au delà. Les questions ultérieures et suprêmes, il se les est posées ; il n’a pas eu le temps de nous donner sa réponse. Toutefois, ce point n’est pas douteux, Vauvenargues, malgré son hésitation, n’a jamais été irréligieux dans le sens que l’on attache à ce mot, ou, du moins, jamais il n’a pris son parti de ne pas croire ; son esprit est partagé tour à tour entre le doute et la foi ; il ne décide pas la question, il l’ajourne. Quand il vient de lire Fénelon, cette foi humaine et pénétrante n’est pas loin de le gagner ; mais il ouvre Pascal, dont la foi contentieuse et despotique met le cilice à la vie, et Vauvenargues, qui aime la vie, retombe dans ses incertitudes[1].

  1. La trace de ce combat, on la trouve dans une lettre à son ami Saint-Viucena : « S’il faut parler franchement, lui écrit-il, ce n’est pas seulement