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s’autorise de quelque loi : quand il ne se ferait aucun traité entre les princes, je doute qu’il se fît plus d’injustices[1].

413. Ce que nous honorons du nom de paix n’est proprement qu’une courte trève, par laquelle le plus faible renonce à ses prétentions, justes ou injustes, jusqu’à ce qu’il trouve l’occasion de les faire valoir à main armée.

414. Les empires élevés ou renversés, l’énorme puissance de quelques peuples et la chute de quelques autres, ne sont que les caprices et les jeux de la nature. Ses efforts, et, si on l’ose dire, ses chefs-d’œuvre, sont ce petit nombre de génies qui, de loin en loin, montrés à la terre pour l’éclairer, et souvent négligés pendant leur vie, augmentent d’âge en âge de réputation, après leur mort, et tiennent plus de place dans le souvenir des hommes que les royaumes qui les ont vus naître, et qui leur disputaient un peu d’estime.

415. Plusieurs architectes fameux ayant été employés successivement à élever un temple magnifique, et chacun d’eux ayant travaillé selon son goût et son génie, sans avoir concerté ensemble leur dessein, un jeune homme a jeté les yeux sur ce somptueux édifice, et, moins touché de ses beautés, irrégulières il est vrai, que de ses défauts, il s’est cru longtemps plus habile que tous ces grands maîtres, jusqu’à ce qu’enfin, ayant été lui-même chargé de faire une chapelle dans le temple, il est tombé dans de plus grands défauts que ceux qu’il avait si bien saisis, et n’a pu atteindre au mérite des moindres beautés[2].

416. Un écrivain qui n’a pas le talent de peindre doit éviter sur toutes choses les détails.

417. Il n’y a point de si petits caractères qu’on ne puisse

  1. Var. : « Qui a fait les partages de la terre, si ce n’est la force ? Toute l’occupation de la justice est à maintenir les lois de la violence. »
  2. L’édifice dont il s’agit, c’est, sans doute, la philosophie, ou, au moins, la morale. Vauvenargues a rarement employé ce ton d’apologue, assez fréquent dans La Bruyère. — G.